01/10/07 (B415) REUTERS : L’Afrique méfiante face au nouveau commandement militaire US

Par Pascal Fletcher

DAKAR (Reuters) – L’armée américaine présente son nouveau commandement en Afrique (Africom) comme un outil d’assistance et de formation pour le continent noir, mais de nombreux Africains craignent qu’il ne s’avère source de problèmes supplémentaires.

Si l’on en croit les responsables américains, l’Africom, qui verra le jour lundi, vise à aider l’Afrique à se stabiliser et à renforcer sa sécurité en promouvant la bonne gouvernance, l’état de droit et de nouvelles opportunités économiques.

Mais côté africain, au vu des précédents irakien et afghan, on évoque deux dangers: une ingérence américaine accrue dont découleraient de possibles interventions militaires, et l’association de l’Afrique aux Etats-Unis, qui ferait du continent une cible pour les ennemis de l’Amérique.

« L’armée américaine ne va faire qu’apporter de nouveaux problèmes à l’Afrique », estime Bile Abdi. Cet ouvrier au chômage vit en Somalie, pays où des soldats américains ont péri dans une catastrophique intervention « humanitaire » au début des années 1990. « Si l’Amérique s’étend en Afrique, ses ennemis – la Russie, l’Iran et la Chine – viendront eux aussi. »

Des analystes jugent quant à eux que l’Africom est sous-tendu par des motivations stratégiques moins altruistes que Washington ne veut le faire croire.

CONTRER L’INFLUENCE CHINOISE

Pour eux, les Etats-Unis veulent garantir la continuité de l’approvisionnement en pétrole africain, déjà importé en grande quantité du continent et dont l’importance stratégique croît dans un monde instable. Le Nigeria et l’Angola fourniront bientôt un quart du pétrole importé par les Etats-Unis.

En outre, la Corne de l’Afrique et le Sahel marquent un nouveau front dans la guerre internationale contre le terrorisme de Washington. Des fournisseurs de pétrole des zones sub-sahariennes pourraient être exposés aux infiltrations d’extrémistes musulmans venus du Nord.

Des responsables américains assurent que l’Africom n’implique pas l’installation de nouvelles bases militaires en Afrique, en plus de celle qui existe déjà à Djibouti.

Certains observateurs prêtent néanmoins à Washington la volonté de renforcer sa présence sur place pour contrer l’offensive diplomatico-commerciale de la Chine visant à contrôler les gisements de pétrole et de minerais africains.

L’Africom vise à « contrer la présence de plus en plus insistante d’autres puissances telles que la Chine », estime ainsi le politologue algérien Ismaïl Maaref Ghalia.

« Il y a deux priorités: garantir l’approvisionnement en ressources, et notamment en pétrole, et la lutte contre le terrorisme », résume Peter Takirambudde, directeur pour l’Afrique de l’ONG Human Rights Watch, interrogé par Reuters.

L’AFRIQUE AUSTRALE HOSTILE AU PROJET

Il estime que si l’Africom peut effectivement accroître la capacité de la communauté internationale à identifier des catastrophes humanitaires et à y réagir efficacement – en ayant à l’esprit, par exemple, le Darfour – des considérations stratégiques égoïstes pourraient quand même prévaloir.

« Quand des conflits impliquent aussi la lutte anti-terroriste et la sécurité énergétique, ces deux considérations tendent à passer avant les droits de l’homme », souligne-t-il.

Dans un premier temps, l’Africom devrait être basé en Allemagne, mais il sera transféré à terme sur le continent noir en un lieu qui n’est pas encore fixé.

L’initiative américaine est bien accueillie par plusieurs alliés africains de Washington. « L’Africom est une très bonne idée pour accroître la stabilité et combattre le terrorisme sur le continent », a déclaré à Reuters la ministre ougandaise de la Défense, Ruth Nankabirwa.

Un autre pays, le Liberia, fondé par des esclaves noirs affranchis venus d’Amérique en 1947, se propose de l’accueillir.

Mais l’Afrique australe, et notamment le poids lourd politico-économique qu’est l’Afrique du Sud, semble farouchement hostile à l’installation de bases américaines.

Le porte-parole du gouvernement zambien, Mike Mulongoti, a proposé, en guise de commentaire, une parabole à Reuters: « C’est comme si vous laissiez un géant s’installer chez vous. Que faites-vous si vous le trouvez au lit avec votre femme? »