25/10/07 (B418-C) RUE 89 Affaire Borrel: la famille d’un témoin clé bannie de Djibouti

Comme Rue89 l’annonçait dimanche, sept membres de la famille de Mohamed Saleh Alhoumekani ont été expulsés mardi matin de Djibouti. Direction: Sanaa au Yemen, où ils ont atterri dans la journée sans passeport, ni visa. Aucun motif d’expulsion ne leur a été signifié.

Les autorités djiboutiennes n’ont pas estimé nécessaires de justifier cette procédure, dont l’utilité n’apparaît pas flagrante au regard du droit… Dimanche matin, la famille de cet ancien lieutenant de la Garde présidentielle a eu la surprise de voir débouler chez elle les hommes cagoulés de la brigade anti-terroriste, sous la supervision du numéro 2 du SDS, les services spéciaux djiboutiens. « Vous avez 24 heures pour faire vos valises, leur dit-on, car vous allez être expulsés. »

Lundi, les policiers reviennent pour embarquer la mère d’Alhoumekani (78 ans), son frère aîné et son épouse, sa soeur et ses trois autres frères. Tous placés en centre de rétention, où ils passeront la nuit en cellule.

« Soit vous collaborez, soit vous partez »

Là-bas, le chef du SDS, Hassan Saïd Khairreh leur aurait mis le marché suivant en main: « Soit vous collaborez, soit vous partez. Pour rester, Mohamed doit revenir sur sa déclaration ». Cette « déclaration » est l’épine qui chatouille le président Guelleh depuis sept ans.

En janvier 2000, alors qu’il vient de fuir son pays pour la Belgique, Mohamed Alhoumekani raconte aux juges d’instruction français chargés de l’enquête sur la mort de Bernard Borrel, la conversation dont il fut témoin le 19 octobre 1995 dans les jardins du Palais présidentiel. Cinq hommes se présentent à Ismaël Omar Guelleh, alors chef de cabinet du président Gouled, dont deux terroristes censés être incarcérés à la prison de Gabode. L’un d’eux, Awalleh Guelleh dit à IOG: « Le juge fouineur est mort, il n’y a plus de traces ».

Le colonel Mahdi, chef de la gendarmerie, précise qu’il s’est occupé des registres tenus par les militaires à la sortie de la ville, registres dans lesquels sont consignés le passage du magistrat français, en voiture, accompagnés de plusieurs personnes. Hassan Saïd leur désigne le téléphone: « Vous n’avez qu’un coup de téléphone à passer, c’est votre choix… »

N’ayant jamais cédé aux pressions exercées par le régime depuis des années, la famille fait bloc. Mardi matin, ils se retrouvent tous les sept dans l’avion pour le Yemen, un pays que leurs ascendants ont quitté depuis cinq générations. Le reste de la famille, soit deux conjoints apparentés, huit enfants âgés de 2 à 13 ans et un oncle paralysé de 80 ans ont eu le droit de rester dans leur maison.

Un tournant dans la stratégie du pouvoir djiboutien

Cette expulsion, dont la décision a été prise « à très haut niveau » pour reprendre les termes d’un officiel, marque un tournant dans la stratégie du pouvoir djiboutien. Désormais, IOG entre dans une phase de confrontation qui ressemble fort à une réponse à Nicolas Sarkozy. En recevant Elisabeth Borrel, le 19 juin dernier à l’Elysée, le président français déterrait la hache de guerre aux yeux du président djiboutien. Ismaël Omar Guelleh l’a explicitement souligné, samedi dernier, lors d’un discours prononcé à Tadjoura:

« La campagne de dénigrement et l’acharnement dont je fais l’objet a commencé le jour où vous m’avez porté à la tête de notre République. Vous m’avez élu à cette fonction pour que je préserve notre unité nationale, pour que je défende notre indépendance, pour que j’œuvre au développement de notre pays. Pendant huit ans, j’ai toujours dit à mon peuple de faire preuve de retenue face à cet acharnement en pensant qu’un jour, l’Etat français allait mettre un terme à ces attaques mais aujourd’hui, nous estimons que c’est assez. (…) Nous ne nous laisserons plus faire. »

Explicite et clair, l’avertissement a valeur de mise en garde. Malgré nos multiples tentatives, le procureur général de Djibouti, Djama Souleïman, comme l’avocat de l’Etat, maître Francis Szpiner, restaient mardi soir injoignables pour commenter cette mesure de bannissement.

David Servenay