05/02/08 (B433-B) JEUNE AFRIQUE : une grande interview de Guelleh, que nous ne commenterons pas à ce niveau, bien que …il y ait tant à critiquer face à tant d’arrogance et de tromperies …

Ismaël Omar Guelleh : « Djibouti n’a plus besoin de la France »

Affaire Borrel, base militaire en sursis, échanges économiques en berne:
le chef de l’État djiboutien parle de tout ce qui fâche avec l’ex-puissance coloniale. Et de ce qui va bien avec les autres. Entretien.

Propos recueillis à Djibouti par FRANÇOIS SOUDAN

La chaîne est allemande, le financement émirati, le directeur turc, l’encadrement indien, et le personnel est tenu de suivre des cours d’anglais.

À lui seul, le nouvel orgueil de Djibouti qu’est l’hôtel palace Kempinski — huit cents chambres, un casino, une marina — symbolise les rêves de mondialisation de ce petit pays pauvre de huit cent mille habitants: devenir un hub, une plaque tournante arabo-africaine entre mer Rouge et océan Indien, et une plate-forme de services pour les cargos de passage dont les conteneurs s’empilent jusqu’au ciel le long des quais tout frais du port de Doraleh. Rassurés, dit-on, par la présence depuis 2002 de l’unique base militaire américaine permanente d’Afrique (1800 hommes), les investisseurs arabes se pressent à Djibouti.

Un intérêt qui souligne une absence: celle de leurs homologues français.

Car c’est là le revers de la médaille. Installée sur le territoire il y a 145 ans, la France est à Djibouti en perte de vitesse — et d’influence, Au pouvoir depuis 1999, le président Ismaïl Omar Guelleh, 60 ans, s’en désole et s’en agace. N’a-t-il pas tenu à signer à Paris, en décembre dernier, un accord de protection des investissements censé offrir toutes les garanties aux entrepreneurs français?

Certes, la France conserve ici de solides intérêts, lesquels se résument cependant à une implantation militaire dont l’utilité apparaît désormais plus évidente pour leur armée que pour les Djiboutiens eux-mêmes. Un déséquilibre alourdi par les séquelles de l’affaire Borrel, qui n’a pas fini d’empoisonner les relations entre Paris et son ex-colonie.

De tout cela, Ismaïl Omar Guelleh s’explique, parfois avec vivacité, lors d’un entretien réalisé fin janvier dans un petit salon de sa modeste présidence.

Signe pourtant que l’influence culturelle française est toujours prégnante: les affiches de la coalition au pouvoir pour les élections législatives du 8 février, qui ornent les panneaux publicitaires de Djibouti, portent le sigle UMP
(Union pour la majorité présidentielle).

De quoi relativiser les fantasmes d’une rupture annoncée. . .

JEUNE AFRIQUE: Vous avez porté plainte contre la France devant la Cour internationale de justice (CIJ) de La Haye, laquelle vient d’achever ses audiences à ce sujet. Qu’en attendez-vous ?

ISMAÏL OMAR GUELLEH: Qu’on nous rende justice. C’est- à-dire qu’on nous transmette le dossier d’instruction de l’affaire Borrel. Les grandes puissances ont la détestable habitude, lorsqu’elles concluent des traités avec des petits pays, de s’asseoir dessus alors que l’encre est à peine sèche.

Nous avons signé avec la France deux conventions d’entraide judiciaire en 1977 et 1986, lesquelles réglementent le statut juridique des Djiboutiens en France et des Français en République de Djibouti. Il y a ici une base française avec près de trois mille hommes, ce qui signifie que chaque semaine ou presque nous avons affaire à des commissions rogatoires, des enquêtes de police, des actes d’état civil, etc., concernant des citoyens français, particulièrement des militaires.

Nous avons dit au consul de France à Djibouti que nous suspendions toute coopération judiciaire avec ses services tant que la Cour de La Raye n’aura pas rendu son verdict. En attendant, il peut garder ses requêtes à la maison. Pour qu’un partenariat fonctionne, il doit être équilibré.

Vous avez également tenu à ce que soit tranchée, à La Haye, la question de votre propre immunité. Réplique de la partie française: vous êtes hors sujet.

Ce n’est pas mon opinion. La cour d’appel de Paris a, en 2005, clairement signifié que le président de la République ne pouvait être convoqué pendant l’exercice de ses fonctions. Or j’ai été depuis convoqué à deux reprises. C’est inadmissible. Nous attendons également de la CIJ qu’elle annule les mandats d’arrêt internationaux contre le procureur de la République et le directeur de la Sécurité nationale de Djibouti.

On avait cru comprendre, à l’issue de votre rencontre à Paris le 11 décembre dernier avec Nicolas Sarkozy, que vous aviez décidé d’un commun accord de « mettre entre parenthèses » l’affaire Borrel.

Manifestement, ce n’est pas le cas. La justice française est un système dont on peut critiquer le fonctionnement et l’impartialité. Ce n’est pas pour autant que les relations d’Etat à État doivent en pâtir. Pourtant, à La Haye, c’est l’État djiboutien contre l’État français.

Et c’est bien le ministère français des Affaires étrangères qui, par lettre en date du 7 janvier, a explicitement demandé à la CIJ qu’elle entende le témoignage de la veuve du juge Borrel.

Il s’agissait, me dit-on, d’une promesse faite par le président Sarkozy à madame Borrel, lorsqu’il l’a reçue à l’Elysée en juin 2007. Mais la Cour, comme vous le savez, a rejeté cette requête. Tout cela me laisse un peu songeur. Je me demande pourquoi cette dame a tant d’ascendant sur le pouvoir français.

Il se dit que c’est Jacques Chirac, alors chef de l’État, qui vous aurait suggéré de porter plainte devant la CIJ pour avoir accès au dossier de l’affaire Borrel. Est-ce exact?

C’est exact. Au cours d’un entretien que j’ai eu avec Jacques Chirac en 2005, je lui ai posé cette question: « Vous me dites que vous n’avez aucun pouvoir sur votre justice et que vous ne pouvez rien faire pour moi. Or, moi, j’ai à me plaindre de votre justice. Je me sens trahi, je me sens sali.

Que dois-je faire? Je ne vais tout de même pas aller agresser madame Borrel? »

Il m’a alors répondu: « Vous n’avez qu’à aller attaquer l’État français devant la Cour de La Haye, elle est faite pour ça. Moi, je suis impuissant. » C’est ce que nous avons fait.

Selon un ancien membre des renseignements militaires français, dont le témoignage a été recueilli à Paris par la juge d’instruction en charge de l’affaire, Bernard Borrel enquêtait avant sa mort, à la demande du ministre djiboutien de la Justice de l’époque, sur divers trafics auxquels vous étiez mêlé. Dont celui de produits fissiles entrant dans la fabrication de l’uranium…

C’est grotesque. L’ex-ministre Bahdon Farah a démenti cette fable. Ses rapports avec Borrel étaient notoirement exécrables et le statut de ce dernier, conseiller dépendant du chef de mission de la Coopération française, lui interdisait de procéder à quelque enquête que ce soit sur le territoire djiboutien. On cherche désespérément des mobiles pour m’impliquer dans la mort du juge Borrel, quitte à les fabriquer.

Vous avez, de votre côté, relancé votre propre piste, celle d’un réseau pédophile français actif à Djibouti dans les années 1990 et qui expliquerait selon vous la mort de Bernard Borrel. Est-ce bien sérieux?

Deux témoignages précis viennent d’être publiés à Paris, qui accréditent cette thèse’, Un juge d’instruction djiboutien a adressé, en mai dernier, des convocations pour viols sur mineurs à une dizaine d’anciens coopérants français, dont deux ex-conseillers à la présidence, et à deux prêtres missionnaires rentrés en France. Il y a eu des arrestations ici même, à Djiboui.

Tout cela me paraît sérieux et crédible.

On voit assez mal, tant que la CIJ n’aura pas rendu son verdict, le président Sarkozy se rendre en visite à Djibouti comme il vous l’a promis…

Je ne suis pas sûr que cela soit lié. Une date avait été convenue dans le courant de ce mois de février, sur le chemin du retour d’Afrique du Sud, où le président Sarkozy doit se rendre. Mais ses services ont finalement jugé que le détour par Djibouti était trop long et fatigant. J’attends donc qu’on me propose une autre date.

Le projet de création d’une petite base militaire française à Abou Dhabi menace-t-elle l’existence de celle de Djibouti?

Non, c’est même l’inverse. Des officiers d’Abou Dhabi vont venir ici pour participer à des entraînements conjoints avec l’armée française. Pour les Français, Djibouti est très difficilement remplaçable.

À qui la base rapporte-t-elle le plus, à vous ou à la France?

À la France, c’est évident. Et la base américaine, aux EtatsUnis. Les Français ont un argument solide. S’ils n’étaient pas là, il y a longtemps que Djibouti aurait été absorbé par ses voisins éthiopien ou somalien. Cette garantie a été nécessaire jusqu’à notre accession à l’indépendance, une perspective que dos voisins ont longtemps refusée. Elle ne l’est plus depuis que Djibouti est membre à part entière de la communauté internationale. Français et Américains bénéficient ici d’un terrain d’exercice et d’un poste d’observation géostratégique inappréciables.

Le fait d’abriter une base française et une base américaine diminue aussi votre dépendance. Vous faites jouer la concurrence?

On peut le dire comme cela. En outre, la présence américaine chez nous rassure les investisseurs arabes du Golfe.

Quel loyer percevez-vous pour ces bases?

Trente millions d’euros par an pour les Français et 30 millions de dollars pour les Américains. C’est peu. Ce n’est rien, ou presque rien,

Vous n’avez pas su négocier?

(Soupir]. Vous savez, il a fallu batailler dur pour obtenir les 30 millions d’euros des Français. Jusqu’en 2003, ils ne payaient pas un sou! C’est incroyable.

Pourquoi les investisseurs français sont-ils si rares à Djibouti?

Posez-leur la question. Hormis Total et une ou deux sociétés, il n’y a personne. Résultat, la France perd peu à peu ses positions économiques, culturelles et linguistiques à Djibouti. Et pourtant, je suis francophile depuis toujours, par tradition. Mon père a été, en 1927, le premier instituteur francophone du territoire!

C’est la France qui n’est pas à la hauteur.

Quand j’ai lancé le projet du nouveau port pétrolier de Doraleh, c’est à Paris que je me suis tout d’abord adressé, dès 1999. En guise de réponse, on m’a proposé de bricoler les infrastructures obsolètes de celui de Djibouti. En réalité, on m’a ri au nez. C’est alors que Dubaï est entré en scène… Il faut être clair: si les Français pensent ne plus avoir besoin de Djibouti, l’inverse est aussi vrai.

J’imagine que, lors de votre visite en France en décembre dernier, vous avez évoqué ce désintérêt.

Bien sûr. On m’a poliment entendu. Mais de toutes les personnalités que j’ai rencontrées, une seule m’a réellement écouté. C’est le ptésident de la Bred, Stève Gentili. Après le désengagement de la BNP, c’est lui qui a décidé de reprendre la Banque pour le commerce et l’industrie de Djibouti. Un monsieur remarquable.

Et les Chinois?

Ils sont surtout très présents en Éthiopie, mais se montrent de plus en plus actifs à Djibouti, notamment dans la construction. Surtout, nous venons de conclure avec un groupe chinois un mémorandum d’entente pour la location de l’île de Moucha, dans le golfe de Tadjoura, au large de Djibouti. Ce groupe compte y établir quatre hôtels-casinos pour le repos et les loisirs des Chinois qui travaillent dans un rayon de cinq heures de vol autour de Djibouti, ce qui inclut ceux d’Éthiopie et du Golfe. Le montant de cet investissement est de 2 milliards de dollars.

Quand on est pauvre, il faut être inventif…

A qui le dites-vous! Non seulement nous sommes pauvres, mais nous importons tout. Alors, on se bat. L’Islande nous aide pour mettre en valeur notre énorme potentiel géothermique, avec des financements arabes. L’Inde et le Maroc font de la culture sous serre. Le Soudan nous a concédé seize mille hectares, sur son propre territoire, dans la région de Gedaref, où nous récoltons du sorgho, qui est ensuite acheminé jusqu’à Djibouti.

L’Ethiopie s’apprête à faire de même en nous offrant cinq mille hectares de blé. L’Arabie saoudite et le sultanat d’Oman vont planter ici un million de palmiers-dattiers. Nous nous sommes adressés à la Banque mondiale et à la BAD pour récupérer les eaux pluviales… Bref, quand on cherche, on trouve. La faim donne de l’imagination.

L’opposition djiboutienne, qui a boycotté l’élection présidentielle de 2005, s’apprête à récidiver le 8 février à l’occasion des législatives. C’est embêtant pour votre image de marque.

Oui, je le regrette. Mais à qui la faute ? Nous avons tout fait pour qu’elle participe, offert toutes les garanties. Français et Américains lui ont conseillé d’y aller, quitte à examiner ensuite les éventuels contentieux. Rien n’y a fait, En réalité, cette opposition n’a plus de leader depuis la disparition d’Ahmed Dini et le ralliement de ses principaux chefs à l’Union pour la majorité présidentielle.

Pour vos opposants, le scrutin est arrangé d’avance. Et l’argent est de votre côté.

C’est ce qu’ils prétendent. Je crois plutôt, moi, qu’ils craignent le verdict des urnes. Pensez-vous réellement que si l’opposition avait participé elle aurait pu emporter des sièges ? A condition qu’elle fasse sérieusement campagne, pourquoi pas? Dix ou quinze circonscriptions étaient à sa portée, notamment dans le Nord, Mais en faisant cela, les opposants auraient crédibilisé le pouvoir, perspective insupportable à ses yeux.

Le problème est que depuis vingt ans, c’est le même parti, le vôtre, qui exerce le pouvoir.

Absolument. Et j’imagine que, vu d’Europe, c’est une mauvaise chose, non ?

Cela signifie qu’il n’y a pas d’alternance. Donc un problème de gouvernance. Ecoutez. Nous avons un pays à construire et une population à nourrir les priorités sont là. Et c’est sur mes résultats en ces domaines que j’entends être jugé. L’alternance pour l’alternance, cela n’a pas de sens.

Pourquoi avez-vous expulsé vers le Yémen, fin octobre 2007, les membres de la famille de Mohamed Aloumekhani, cet ancien officier de la Garde présidentielle djiboutienne aujourd’hui réfugié en Belgique et qui vous accuse d’avoir ordonné l’assassinat du juge Borrel? Au nom de la responsabilité collective?

Je n’ai jamais signé d’ordre d’expulsion concernant ces gens, à qui je n’ai rien à reprocher et qui ne font pas de politique. J’ai simplement demandé aux autorités de Sanaa de les héberger au Yémen, dont certains possèdent d’ailleurs la nationalité, en attendant que l’orage passe. A l’époque, il y avait à Djibouti des manifestations très tendues contre la justice française et je craignais que cette famille serve de bouc émissaire aux mécontents. Il fallait donc les mettre è l’abri. Ils reviendront bientôt,

Pourquoi n’y a-t-il pas de presse d’opposition à Djibouti?

Il y a deux problèmes. D’abord, le financement. Même La Nation, qui est le journal gouvernemental, ne paraît que trois fois par semaine, faute de lecteurs en mesure de l’acheter et d’annonceurs, et vit difficilement. La tentation est donc grande pour un organe d’opposition de se faire financer par une ambassade étrangère.

Or la loi l’interdit.

La loi stipule également que le directeur de la publication d’un journal doit résider à Djibouti. Le cas s’est posé pour Le Renouveau, proche de l’opposition, dont le responsable vit à Bruxelles. Tant qu’il n’aura pas remédié à cette anomalie, quitte à changer de directeur, ce périodique ne pourra pas reparaître. Mais il n’est pas interdit, il convient de le préciser. Je n’ai jamais interdit un journal à Djibouti.

On vous reproche parfois de bloquer l’accès aux sites Internet des ONG de défense des droits de l’homme et des partis d’opposition.

Faux. Le voudrais-je que je n’en aurais pas les moyens!

On vous accuse aussi de vouloir étouffer le syndicat indépendant UDT — l’Union djiboutienne du travail—, qui vient de publier, conjointement avec la Ligue djiboutienne des droits humains de Jean-Paul Noël Abdi un rapport critique sur les libertés dans votre pays.

Le secrétaire général de cette centrale, Mohamed Abdou, refuse obstinément de tenir un congrès et de se soumettre à une réélection de la part de ses militants. En outre, il cumule cette fonction avec celle de secrétaire général d’un parti d’opposition, l’Alliance républicaine pour la démocratie. Tout cela est à la fois incompatible et illégal. Je crois que le Bureau international du travail, qui le défend, est bien mal informé.

Vous considérez-vous toujours comme Issa?

Chez nous, chez les Issas, quand un chef accède au rang suprême, l’usage veut que l’on paie à sa tribu le prix de son sang. En d’autres termes, on indemnise sa communauté car le nouvel élu ne lui appartient plus et n’est plus à son service.

Sa tribu, c’est désormais tout le monde. Tel est mon cas. L’esprit de caste, l’exclusion ethnique, toutes ces dérives dont le Kenya nous offre aujourd’hui le triste spectacle, ce sont les Blancs qui nous ont apporté cela. Est-il normal qu’autour du président Kibaki, que je considère comme un chef d’Etat respectable, des ministres inconscients crient « Kikuyus first ! »?

Est-il normal qu’au nom de l’opposant Raila Odinga, un homme courageux mais aussi un rebelle de naissance, les dirigeants de son parti poussent au massacre des mêmes Kikuyus?

Djibouti a connu, pendant les années 1990, de très graves affrontements ethniques entre Afars et Issas. Cela peut-il recommencer?

Si on n’y prend garde, le pire n’est jamais à exclure. Tout est une question de gouvernance, de bonne gouvernance.

Accepteriez-vous que votre propre famille se lie avec une famille afar?

C’est le cas. J’ai épousé en secondes noces une femme qui avait déjà des enfants afars. Mes propres enfants ont donc des frères et soeurs afars. Où est le problème? Mon grand-père, déjà, avait une épouse afar. Et savez-vous où je compte résider, une fois ma retraite venue? Dans le Nord, en pays afar.

Vous avez derrière vous une longue carrière au sein de la Sûreté nationale, et votre parcours, celui d’un homme d’ordre, n’est pas sans rappeler celui du président tunisien Ben Ali. C’est un modèle pour vous?

Le président Ben Ali est plus fort que moi, cela ne fait aucun doute! Sérieusement: la Tunisie est pour nous un vrai modèle, particulièrement dans le domaine clé de la lutte contre la pauvreté.

Vous avez été membre de la police française de Djibouti pendant dix ans, avant d’en être évincé en 1974, trois ans avant l’indépendance. Pour quelles raisons?

Pour des raisons politiques. A l’instar de beaucoup de Djiboutiens, je considérais comme nocif le gouvernement local d’Ali Aref, manipulé depuis Paris par Jacques Foccart puis René Journiac et qui s’appuyait sur des milices afars afin de faire régner la terreur. Persuadé que je complotais contre lui, Ali Aref a ordonné mon limogeage.

À raison, puisque vous complotiez effectivement.

Exact. Ali Aref représentait un danger pour l’avenir de Djibouti.

De 1977 à 1999, vous êtes le chef de cabinet du président Gouled. Ainsi que le coordinateur des services de sécurité. Toujours la police…

Vous savez, avoir dirigé des services de renseignements est un acquis précieux. J’ai appris à connaître ce pays et ses habitants mieux que beaucoup d’autres. Je sais les aspirations des Djiboutiens, leurs besoins, ce qui les irrite, ce qui les galvanise. Je connais le tissu socioéconomique, les problèmes de la jeunesse, ceux des femmes. Un bon flic se doit d’être à l’écoute du peuple. Il pense prévention avant de penser répression. Et lorsque la répression est inévitable, il faut immédiatement après rétablir la confiance. En Afrique, on néglige trop souvent cet aspect-là.

Votre deuxième mandat expire en 2011 et la Constitution vous interdit d’en solliciter un troisième. Respecterez-vous cet engagement?

Houphouêt disait: « Un chef baoulé meurt au pouvoir. » Ce n’est pas notre tradition, à nous autres Djiboutiens. « Je ne suis pas du genre à ‘déchirer une Constitution parce qu’elle ne me plaît pas. »

Certains de vos pairs estiment que la limitation du nombre de mandats est antidémocratique. Est-ce vôtre avis?

En 2011, j’aurai achevé ma douzième année au pouvoir. C’est beaucoup. Je ne voudrais pas m’enliser dans la routine et les flatteries de courtisans. Je ne suis pas du genre à déchirer une Constitution parce qu’elle ne me plaît pas. Et si vous faisiez le constat que vous êtes irremplaçable? Je ne souhaite pas en arriver là.

Donc, vous ne vous représenterez pas?

A l’heure où je vous parle, ma réponse est non. Mais je suis croyant et je sais que l’avenir ne m’appartient pas. Il est à Dieu. Nous aurons donc, le moment venu, à en reparler..