21/02/08 (B435) RSF Extrait du rapport annuel sur l’Ethiopie

La crise ouverte en novembre 2005 par l’arrestation d’une vingtaine de responsables de journaux s’est achevée honorablement, en 2007, grâce à la pression internationale.

Mais le climat est toujours mauvais et l’autocensure fréquente. De plus, deux journalistes érythréens sont toujours utilisés comme otages, après avoir été capturés en Somalie.

Bien entendu, l’Ethiopie de Meles Zenawi n’est pas la dictature de Mengistu, renversée en 1991, qui maintenait sur le pays une chape de plomb de style stalinien. Des journaux privés animent, tant bien que mal, la vie intellectuelle de la capitale, Addis-Abéba.

Mais le climat est à l’hostilité.

De lourdes peines de prison sont toujours prévues pour ceux qu’une justice influençable estime coupable de « diffamation » ou de « publication de fausses nouvelles ».

L’autocensure est forte.

Les correspondants étrangers en poste en Ethiopie doivent être prudents et ne pas embarrasser le gouvernement, qui est confronté à de multiples crises militaires, dans les provinces et avec ses voisins. Celui-ci fait preuve d’une grande sévérité envers ces journalistes qu’il juge dangereux.

Relative détente

L’année 2007 a connu une relative détente. Depuis deux ans, l’attention de la communauté internationale était attirée par le fait que l’état-major de la principale coalition d’opposition, et les responsables des journaux qui la soutenaient, étaient en prison, inculpés de charges extravagantes qui pouvaient leur valoir la peine capitale.

Mais alors qu’ils étaient détenus dans des conditions pénibles et traités avec mépris par le gouvernement, la Haute Cour fédérale a prononcé en avril l’acquittement de vingt-cinq accusés, parmi les prévenus du grand procès politique qui se tenait à Addis-Abéba depuis un an.

Inculpés de « génocide », « haute trahison » et « tentative de renversement de l’ordre constitutionnel », tous étaient incarcérés depuis novembre 2005, après avoir été pris dans les rafles qui avaient suivi la répression, par la police éthiopienne, des rassemblements de protestation organisés par la principale coalition de l’opposition, la Coalition pour l’unité et la démocratie (CUD, Kinijit en amharique).

Huit des 25 personnes libérées étaient des journalistes.

Le tribunal a jugé que le procureur n’avait pas présenté de preuves convaincantes de leur culpabilité. Une première étape semblait avoir été franchie pour résoudre une crise qui empoisonnait la vie politique éthiopienne.

Coup de théâtre le 16 juillet : on apprenait avec stupéfaction la condamnation de six journalistes, parmi quarante-trois opposants jugés dans une affaire identique, à des peines allant de dix-huit mois d’emprisonnement à la prison à vie.

La plupart d’entre eux ont été reconnus coupables d’avoir tenté de « renverser l’ordre constitutionnel ».

Le 20, quatre d’entre eux étaient toutefois libérés après avoir bénéficié d’une amnistie, les deux derniers, en exil, ayant été jugés par contumace. Un mois plus tard, c’était au tour des trois derniers journalistes détenus depuis novembre 2005 d’être libérés en vertu d’une grâce présidentielle. La crise, qui durait depuis 22 mois, venait ainsi de trouver une issue définitive.

Il reste que, même pour des affaires de presse plus ordinaires, l’arsenal législatif dont dispose le gouvernement éthiopien est sévère.

Le gouvernement n’hésite pas à en faire usage pour se débarasser de journalistes gênants, quitte à déterrer de vieilles affaires. Ce type de manœuvres commodes est une pratique fréquente. En janvier, la Cour suprême a ainsi rejeté l’appel d’Abraham Reta, journaliste de l’hebdomadaire privé Addis Admas, contre sa condamnation, en mai 2006, à un an de prison pour « diffamation » pour un article publié en 2002, lorsqu’il était rédacteur en chef de l’hebdomadaire Ruh.

Il lui était reproché d’avoir cité sans preuve les noms de trois hauts fonctionnaires supposément impliqués dans une affaire de corruption.

Arrêté une première fois en avril 2006, il avait purgé trois mois de prison avant d’être placé en liberté conditionnelle, en attendant le résultat de son appel. Après plusieurs audiences, au cours desquelles Abraham Reta avait plaidé non-coupable et été contraint d’identifier la source de son article, il a été renvoyé en prison pour purger les neuf derniers mois de sa peine. Entre décembre 2005 et décembre 2006, Reporters sans frontières avait recensé quatre cas de journalistes envoyés en prison pour de longues peines (entre huit mois et dix-huit mois) pour des affaires vieilles de quatre ans. Tous ont, depuis, recouvré la liberté, mais il leur est désormais inenvisagable de reprendre le métier de journaliste.

Otages pris en Somalie

La timide ouverture du gouvernement éthiopien en fin d’année (création d’une radio privée indépendante, refonte de la loi sur la presse) ne saurait donc masquer que l’Ethiopie est un pays où l’exercice libre du journalisme se heurte rapidement à des autorités pour le moins nerveuses.

La détérioration du climat politique atteint systématiquement les rangs de la presse. L’envoi de l’armée éthiopienne en Somalie, fin décembre 2006, pour appuyer les troupes du gouvernement de transition, a été un foyer de tensions supplémentaires. Et le soutien politique et militaire du frère ennemi érythréen à l’Union des tribunaux islamiques somaliens a exarcerbé la situation, au point que deux journalistes des médias publics d’Asmara ont été pris en otages par les troupes éthiopiennes, alors qu’ils tentaient de fuir la zone des combats.

Saleh Idris Gama, journaliste de la télévision publique érythréenne Eri-TV, et Tesfalidet Kidane Tesfazghi, cameraman, avaient disparu fin 2006 à Mogadiscio. Fin février 2007, Reporters sans frontières avait fourni leurs noms au gouvernement somalien, afin de savoir s’ils étaient en détention ou s’ils avaient été identifiés parmi les victimes des combats. Aucune réponse n’avait encore été donnée à cette requête, quand, début avril, le ministère érythréen des Affaires étrangères avait publiquement signalé l’arrestation de plusieurs concitoyens en Somalie, confirmant que les membres de l’équipe d’Eri-TV étaient en vie.

Quelques jours auparavant, disposant d’informations équivalentes, Reporters sans frontières s’était adressée aux services de renseignements somaliens pour obtenir des informations sur les journalistes érythréens, l’informant de leur identité et demandant de pouvoir avoir un contact téléphonique avec eux. La requête de l’organisation avait été rejetée.

Quelques jours plus tard, des images de Saleh Idris Gama et Tesfalidet Kidane Tesfazghi ont été diffusées dans une vidéo sur un site progouvernemental éthiopien. La légende de leur interview les qualifiait de « soldats shabia » (littéralement « populaires », surnom du régime érythréen). Depuis cette date, les deux hommes sont détenus par les services de renseignements, quelque part en Ethiopie, et le gouvernement d’Addis-Abéba refuse de fournir des informations sur le sujet.

Ils ne sont pas les seuls journalistes incarcérés en Ethiopie, sur lesquels très peu d’informations sont disponibles.

Shiferraw Insermu, journaliste du service en oromo de la télévision publique ETV et soupçonné d’avoir été un informateur du mouvement séparatiste Oromo Liberation Front (OLF), croupit toujours en prison. Son confrère Dhabassa Wakjira et lui avaient été arrêtés pour la première fois à leur domicile d’Addis-Abeba, le 22 avril 2004. La Haute Cour fédérale avait ordonné leur libération sous caution le 9 août suivant, mais seul Shiferraw Insermu avait été relâché.

Arrêté de nouveau le 17 août, le journaliste avait été libéré sur ordre de la Haute Cour fédérale à la mi-octobre. La chaîne ETV ayant refusé de l’autoriser à reprendre son emploi, il tentait de retrouver une activité professionnelle lorsqu’il a été arrêté une troisième fois, le 11 janvier 2005. Il est toujours en détention depuis cette date, probablement à la prison centrale dite « Kerchiele »‘.

Dhabassa Wakjira, lui, a été détenu sans interruption jusqu’en 2006, sans que l’administration pénitentiaire obéisse aux différents ordres de libération provisoire de la justice. Il a finalement été libéré et a, depuis, fui l’Ethiopie et demandé l’asile à l’étranger.