03/05/08 (B446) LE MONDE : Le chef présumé d’Al-Qaida en Somalie tué par un tir américain (Info lecteur)
Après une longue série d’échecs, c’est le premier coup d’importance porté dans la guerre indirecte que mènent les Etats-Unis en Somalie. Un tir américain précis a frappé, jeudi 1er mai à 2 heures du matin, une maison à Dusa Mareb, dans le centre de la Somalie, faisant une quinzaine de blessés parmi les voisins, mais tuant sur le coup une vingtaine de personnes à l’intérieur, dont l’un des chefs de l’insurrection islamiste, Aden Hashi Farah « Ayro ».
Le petit homme d’une trentaine d’années, accusé par ses ennemis d’être le représentant d’Al-Qaida dans le pays de la Corne de l’Afrique où l’Etat s’est effondré en 1991, échappait depuis des années aux efforts des Etats-Unis et de leurs alliés régionaux pour le tuer.
Cette fois, il se trouve, selon des responsables du mouvement insurrectionnel djihadiste somalien les « chabab » (la jeunesse), parmi les corps très abîmés tirés des ruines, identifiés seulement par leurs crânes.
Ainsi se termine la trajectoire toute de sang et de fureur d’un des piliers de la galaxie islamiste de Somalie. A peine sorti de l’adolescence, « Ayro » était devenu le protégé de la figure tutélaire du mouvement fondamentaliste armé dans le pays, Cheikh Hassan Dahir Aweys. Le jeune extrémiste appartenait au même sous-clan, les Ayr, très influent dans la capitale somalienne mais dont le bastion originel se trouve à Dusa Mareb.
Cheikh Hassan, préparant dans la clandestinité, au cours des années 1990, les bases d’un futur émirat en Somalie, avait envoyé « Ayro » s’entraîner en Afghanistan auprès des hommes d’Oussama Ben Laden, dont certains étaient passés par la Somalie en 1993.
« Ayro » n’avait pas le monopole des contacts avec Al-Qaida. Mais à son retour, il s’était bâti une réputation sur la base de son extrême violence.
Il est soupçonné, notamment, d’être le responsable de l’assassinat de quatre Occidentaux travaillant pour des organisations non gouvernementales et d’une douzaine de Somaliens soupçonnés de coopérer avec des services de renseignement occidentaux.
Après 2001, la Somalie était devenue une tranchée secondaire de la guerre mondiale contre le terrorisme menée par les Etats-Unis. A Mogadiscio, nommé par Aweys à la tête de la milice du Tribunal islamique d’Ifka Halane, l’un des piliers de la « vague verte » qui allait amener les islamistes au pouvoir en juin 2006, il avait vidé le vieux cimetière chrétien et ses tombes italiennes datant de la période coloniale pour y bâtir un camp militaire destiné à ses éléments extrémistes, rejoints par des combattants étrangers.
Ses ennemis, à commencer par les leaders du Gouvernement fédéral de transition (GFT), structure soutenue par les chars éthiopiens, avaient décrété il y a quelques mois qu’il avait été nommé représentant d’Al-Qaida en Somalie.
En 2006, un chef de guerre somalien payé par les services secrets américains pour faire la « chasse aux terroristes » et « ramener des responsables morts ou vifs » avait failli mettre la main sur « Ayro » au nord de Mogadiscio. En faisant exploser une partie des grenades qu’il conservait autour de la taille, le petit homme s’était enfui. Puis il avait échappé aux tirs d’avions américains AC130 dans le sud de la Somalie en janvier 2007.
Abdi Waal, son « chasseur », subrepticement de retour à Mogadiscio à la fin 2007, affirmait au Monde continuer sa traque. Dans une villa du sud de la ville, il visionnait inlassablement un DVD amateur où le leader djihadiste célébrait une victoire contre les forces éthiopiennes.
Certains de ses combattants au teint très clair étaient incontestablement étrangers. C’est pourtant l’un de ses proches qui avait vendu l’enregistrement à l’ennemi de leur chef. C’est aussi un proche, selon plusieurs sources, qui a donné sa position exacte à Dusa Mareb, permettant son exécution à distance.
Cette mort, à forte portée symbolique, n’interrompra pas le cours de la nouvelle vague d’insurrection islamiste lancée depuis des mois contre les troupes du GFT et leurs parrains éthiopiens. Dans le sud de la Somalie, trente villes ont été brièvement prises par des insurgés qui se ravitaillent en armes à l’étranger, brisant peu à peu les ultimes structures du GFT.
Les troupes éthiopiennes à Mogadiscio sont également malmenées par les insurgés qui pilonnent les réservoirs d’eau et les camions-citernes éthiopiens pour assoiffer le contingent d’Addis-Abeba, où les désertions se multiplient.
« Ayro » n’était sans doute pas le pilier de l’insurrection. Jeudi, des responsables « chabab » ont promis de nommer bientôt « plusieurs têtes » à sa place parmi lesquelles, sans doute, Ibrahim Aji Jama « Al-Afghani », dont le rôle dans la coordination de l’insurrection actuelle, menée conjointement par plusieurs groupes, est plus central et plus discret.
Jean-Philippe Rémy