01/07/08 (B454) Portail des sous-marins / Allemagne : la lutte contre la piraterie englué dans des disputes politiques

Une nouvelle fois, un bateau allemand a été pris en otage par des pirates au large de la Somalie. La marine allemande pourrait aider, mais n’est pas autorisé à le faire — parce que la coalition au pouvoir à Berlin est incapable de parvenir à un accord.

Les marins n’ont aucune chance contre les embarcations rapides, dans le golfe d’Aden moins qu’ailleurs, qui ne fait que 150 km de large en son point le plus étroit. Pour Sabine M. et Juergen K., le détroit s’est transformé en un piège qui menace leur vie.

Lorsque les pirates ont découvert le 23 juin le voilier allemand Rockall au large de la Somalie, une course inégale a commencé. Deux embarcations rapides ont fini par abordé le voilier.

Les pirates ont abandonné le voilier près de Laasgoray et se sont retirés dans l’intérieur, la zone frontière entre le Somaliland et le Puntland. Les enquêteurs estiment que les kidnappeurs disposent d’un camp près d’un endroit appelé Badnan, où sont retenus les 2 allemands depuis qu’ils ont été enlevés, avec le skipper du Rockall, qui est français.

C’est un no-man’s-land, où commandent les clans, les milices, les pirates, et les gouvernements semi-autonomes — tout le monde sauf le gouvernement central somalien.

C’est pourquoi le comité de crise allemand négocie au travers de l’ambassade d’Allemagne au Kenya. Des organisations non-gouvernementales ont proposé leur médiation ; il y a eu un contact avec les kidnappeurs qui ont exigé l’immunité contre toute poursuite criminelle ; si tout se passe bien, les 2 allemands seront libérés en échange d’une rançon. Mais si cela ne se passe pas bien et que le gouvernement doit choisir d’attaquer ou de risquer la mort des otages ?

L’attaque a alimenté un débat politique qui est l’une des querelles les plus absurdes de l’actuelle période législative. Le gouvernement veut que la Bundeswehr [1] combatte la piraterie, mais est incapable de parvenir à un accord sur comment le faire. Les discutions sur la base légale pour agir est si féroce que le sort des otages menace d’être complètement oublier dans les discutions.

En termes légaux, la lutte contre la piraterie est la tâche de la police, mais la police fédérale allemande n’est pas autorisée à intervenir en Somalie. Le ministère de la défense a refusé jusqu’à présent que ses navires luttent contre les pirates, parce que la constitution allemande n’autorise l’utilisation des forces armées que pour se protéger ou en cas de tension. Les forces armées ne pourraient effectuer des tâches de police que si l’ordre démocratique de l’état était en danger. Ce qui ne s’applique pas à la piraterie.

Cela fait quelques temps déjà que la coalition cherche un moyen de sortir du no-man’s-land légal.

Le ministère de la justice et celui des affaires étrangères, tous les 2 dirigés par des ministres sociaux-démocrates (SPD), renvoient à 2 textes internationaux qui peuvent aider.

D’un côté, la convention des nations-unies sur le droit des mers engage ses signataires à aider lorsque des vies humaines sont en danger. La convention indique explicitement que chaque état est autorisé à saisir un "bateau pirate en haute-mer ou en tout endroit qui n’est pas soumis à la souveraineté d’un état."

De l’autre, une résolution du conseil de sécurité du 2 juin appelle les états à s’engager dans la lutte contre la piraterie au large de la Somalie. "Pour la loi internationale, il n’y a aucun problème," explique le Professeur Ulrich Fastenrath de Dresde. "La seule raison des atermoiements de l’Allemagne réside dans sa législation nationale."

Le vice-amiral Wolfgang Nolting, chef d’état-major de la marine allemande, explique que, malheureusement, "il n’est pas très clair de savoir qui doit appliquer la convention" : la police fédérale allemande ou la Bundeswehr.

Le ministère de la défense parle d’une "zone d’incertitude légale." Le ministre de la défense Franz Josef Jung et le ministre de l’intérieur Wolfgang Schaeuble (tous les 2 chrétiens démocrates [CDU]) veulent modifier la Loi Fondamentale pour donner une "base constitutionnelle claire," souligne le secrétaire d’état à la défense Thomas Kossendey. Ce qui, d’un autre côté, est bloqué par le SPD, parce qu’il craint que la CDU ne prévoit d’ouvrir la voie à l’utilisation de la Bundeswehr à l’intérieur du pays. Là encore, large coalition signifie un blocage majeur.

Ruprecht Polenz (CDU), président de la commission des affaires étrangères au Bundestag, a reconnu que cela a conduit, à de nombreuses reprises, à des "situations embarrassantes" au large de la Somalie. La marine allemande a un navire qui patrouille au large de la Somalie : la frégate Emden y cherche des terroristes. Les allemands seraient autorisés à intervenir si les pirates étaient des membres du réseau Al-Qaida. Ils n’interviennent pas lorsque ce sont de simples criminels. Les problèmes de ce monde refusent tout simplement de se plier à la logique de la politique intérieure allemande.

De plus, il y a un autre navire allemand au large de la Somalie dont l’équipage a besoin d’aide : le Lehmann Timber.

Le cargo de 121 m de long, 15 membres d’équipage et une cargaison d’acier, est depuis 5 semaines entre les mains des pirates. Les pirates ont attaqué le navire le 28 mai dans le golfe d’Aden. Les membres d’équipage sont ukrainiens, russes et estoniens. Depuis qu’un des estoniens a été autorisé à téléphoner chez lui, les conditions à bord sont connues : elles sont affreuses.

L’équipage n’a pas assez d’eau et de nourriture. Après cet appel, les proches ont alerté le gouvernement estonien, qui a contacté le ministère allemand des affaires étrangères et demandé une aide humanitaire.

L’Emden pourrait intervenir, mais est-il autorisé à le faire ? La question a été discutée par le gouvernement allemand, mais la réponse du ministère de la défense a été négative : pas de base légale, pas d’assistance.

Mardi, le Lehmann Timber et le Rockall seront à l’ordre du jour d’une réunion du gouvernement ; tous les ministères concernés seront représentés. Si la coalition veut agir, les choses pourraient aller assez vite ; l’Emden est toujours dans la région.

Enfin, pour l’instant.

Le 8 juillet, la frégate quittera la région et sera remplacée par un avion de reconnaissance.