18/01/09 (B482) Le Monde / Emergence d’un nouveau pouvoir à Mogadiscio

Maigre consolation pour un départ sans gloire, l’évacuation en bon ordre des troupes éthiopiennes de Mogadiscio n’a pas tourné au désastre. Quittant la capitale somalienne depuis le mardi 13 janvier, leurs colonnes n’ont subi que des attaques isolées. Compte tenu de la violence dont font habituellement preuve les insurgés islamistes à tendance salafiste – les groupes chabab (« la jeunesse ») qui ont poussé au départ de ce contingent envoyé par Addis-Abeba deux ans plus tôt -, ces escarmouches ressemblaient presque à un au revoir.

Pendant ces deux ans, les insurgés de toutes sortes – des djihadistes les plus sanguinaires aux milices de quartier luttant pour leur sous-clan ou les intérêts d’un homme d’affaires – avaient constitué une union sacrée contre les troupes du pays voisin, considéré comme l’ennemi héréditaire. Les divisions éthiopiennes reparties s’installer derrière leurs frontières, l’heure de vérité a sonné pour les Somaliens. Qui prendra le pouvoir à Mogadiscio ?

Vendredi, il ne restait plus, dans la capitale, un seul soldat éthiopien. Leurs bases, autant de lieux emblématiques, étaient donc à prendre. Le stade de football, dans lequel les troupes d’Addis-Abeba avaient été attaquées sans relâche par les insurgés et où leurs blessés sont morts sans pouvoir être secourus. L’ancienne usine de spaghettis, ex-bastion de combattants djihadistes, prise de haute lutte par les forces éthiopiennes, et dont les tours défoncées par les tirs d’artillerie donnent une idée des ravages subis par les quartiers de la ville. L’ancien ministère de la défense, dont nul ne pouvait s’approcher, au risque d’être abattu sans sommation.

De ces bases, les forces éthiopiennes, réduites à moins de 3 000 hommes (près de 15 000 pour tout le pays au plus haut de l’intervention éthiopienne), ne sortaient presque plus depuis plusieurs mois, de peur de sauter, par camions entiers, sur des dispositifs explosifs copiés sur les dernières générations de modèles mis au point entre l’Irak et l’Afghanistan. Pendant deux ans, les troupes somaliennes avaient tenté de maintenir au pouvoir à Mogadiscio le Gouvernement fédéral de transition (TFG) du président Abdullahi Youssouf. Une structure contestée, corrompue et inefficace, soutenue contre vents et marées par une poignée de pays étrangers, des Etats-Unis à la Norvège, mais ne représentant en Somalie qu’une faction sous perfusion.

En décembre 2008, le président Youssouf, lâché par Addis-Abeba, était contraint de démissionner, abandonnant les bribes du pouvoir à son premier ministre, Nur « Adde » Hassan Hussein. Il incombe désormais à celui-ci de faire l’impossible pour mettre en application des accords signés, en juin 2008, à Djibouti, entre le TFG et une faction de représentants islamistes, membres de l’Alliance pour la relibération de la Somalie (ARS), dont le leader, Sheikh Shariff Sheikh Ahmed, avait déjà dirigé les Tribunaux islamiques deux ans plus tôt.

Au final, c’est une coalition entre des groupes comptant parmi les moins extrémistes du spectre insurrectionnel somalien et des rescapés du TFG qui va tenter de s’imposer dans le sud du pays, en compétition avec les groupes radicaux chabab. Botte secrète d’Addis-Abeba, les forces éthiopiennes, en se retirant, appuient certains groupes hostiles aux chabab, telle la coalition proche des confréries soufies du Ahlus Sunna Wal-Jamaa, dans le centre du pays, qui sont entrés en guerre contre les salafistes pour des raisons de clan, de pouvoir mais aussi de religion. A Kismayo, des extrémistes ont eu le tort de profaner des tombes d’hommes saints vénérés par leurs confréries.

Les chabab, de leur côté, se préoccupent en priorité de pousser au départ la force de l’Union africaine (UA) en Somalie, l’Amisom. Sous-entendant que, même en l’absence des Ethiopiens, le djihad continue, Mukhtar Robow « Abu Mansur », porte-parole de leur mouvement, a averti, jeudi : « Vous aviez pris l’habitude de voir les bases éthiopiennes attaquées quotidiennement. A partir de maintenant, vous entendrez que ce sont les bases de l’Union africaine qui ont été attaquées. » Une menace mise en application immédiatement, avec une attaque contre Villa Somalia, siège du pouvoir, désormais protégée par les soldats de la paix africains.

Composée actuellement de 3 400 hommes, l’Amisom s’est longtemps limitée à assurer la survie de ses troupes, confinées dans une zone modeste, entre le port et l’aéroport de Mogadiscio. Une initiative américaine prise, sur la fin, par l’administration Bush, pourrait transformer cette force. Un soutien matériel et logistique des Nations unies est à l’étude. La force pourrait être renforcée, en théorie, par trois nouveaux bataillons. Au-delà, le Conseil de sécurité de l’ONU a voté, vendredi soir, une résolution ouvrant la voie à la transformation de l’Amisom en mission de maintien de la paix. A ce détail près qu’il n’y a, pour l’instant, aucune forme de paix à maintenir en Somalie.

Jean-Philippe Rémy

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Les Nations unies envisagent le déploiement de casques bleus

Les Etats-Unis sont parvenus, après de difficiles discussions, à faire voter, vendredi 16 janvier au soir, par le Conseil de sécurité de l’ONU, une résolution ouvrant la voie à la possibilité de transformer, à partir du mois de juin, la Mission de l’Union africaine en Somalie (Amisom) en mission de maintien de la paix. Washington la souhaiterait forte de 22 000 hommes. Un nouveau vote du Conseil est prévu le 1er juin.

Vendredi, la résolution 1863 a été adoptée à l’unanimité du Conseil de sécurité, qui « se félicite de la décision de l’Union africaine (UA) de maintenir l’Amisom en Somalie jusqu’au 16 mars 2009 ». Il « prie l’UA de la renforcer pour atteindre l’objectif initial de 8 000 hommes prévu par son mandat ». – (Corresp.)

CHRONOLOGIE

28 DÉCEMBRE 2006 : appuyées par l’armée éthiopienne, les troupes somaliennes reconquièrent Mogadiscio, tenue depuis six mois par les Tribunaux islamistes.

13 MARS 2007 : journée de violence à l’occasion de l’installation du président somalien, Abdullahi Youssouf.

NOVEMBRE 2007 : envoi de renforts éthiopiens pour combattre les insurgés.

9 JUIN 2008 : accord de paix sous l’égide de l’ONU entre le gouvernement intérimaire (TFG) et une partie de l’opposition.

29 DÉCEMBRE 2008 : démission du président Youssouf.

15 JANVIER 2009 : fin du retrait des troupes éthiopiennes.

17 JANVIER 2009 : les islamistes « modérés » prennent le contrôle des bases abandonnées par l’armée éthiopienne.