15/01/10 (B534) Lettre ouverte adressée par l’Organisation mondiale contre la torture et la FIDH à la première présidente de la cour suprême de Djibouti, à propos du pourvoi en cassation qui a été déposé par Jean-Paul Noël Abdi et de conditions imposées qui pourraient ne pas garantir les droits de la défense.

Lettre ouverte à Mme Khalija Abeba,
Première Présidente de la Cour suprême,
République de Djibouti

Paris-Genève, le 15 janvier 2010

Objet: Etat de la procédure à l’encontre de M. Jean-Paul Noël Abdi

Madame la Première Présidente,

L’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, programme conjoint de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), a été informé qu’au terme de plusieurs renvois d’audience du procès en cassation notifiés à M. Jean-Paul Noël Abdi, président de la Ligue djiboutienne des droits humains (LDDH), depuis novembre 2008, une nouvelle date d’audience prévue pour le 17 janvier 2010 n’a été fixée que très récemment.

En l’absence de toute suite donnée par vos services aux nombreuses sollicitations de M. Jean-Paul Noël Abdi, de son conseil, Me Michel Tubiana, avocat au barreau de Paris et mandaté par l’Observatoire afin de le représenter aux côtés de Me Zakaria Abdillahi, et celles de l’Observatoire lui-même depuis novembre 2008, nous vous sollicitons à nouveau formellement :

  • d’une part, afin que soit communiquée à M. Jean-Paul Noël Abdi une nouvelle date d’audience qui respecte des délais lui permettant de préparer pleinement sa défense conformément aux normes et instruments internationaux et régionaux en matière de protection des droits de l’Homme ratifiés par le République de Djibouti ;
  • d’autre part, afin qu’une suite positive puisse être donnée officiellement à Me Tubiana quant à la possibilité de plaider devant la Cour suprême dans l’intérêt de son client, comme demandé par ce dernier à trois reprises depuis novembre 2008.

Par courrier télécopié du 5 novembre 2008, Me Michel Tubiana avait sollicité votre confirmation quant à sa possibilité de plaider dans l’intérêt de son client. Une seconde télécopie en ce sens vous a été adressée par son cabinet en date du 12 novembre 2008. Me Abdillahi et M. Noël Abdi avaient également tenté de prendre contact avec vous le 12 puis le 23 novembre 2008 afin d’obtenir une réponse écrite aux points soulevés dans lesdites télécopies. Enfin, une troisième lettre de Me Tubiana en date du 14 avril 2009 vous a sollicité afin d’obtenir d’une part une réponse quant à la possibilité de plaidoirie, et d’obtenir d’autre part un report d’audience, afin que les droits de son client soient garantis.

A notre connaissance, tous les courriers envoyés par Me Tubiana n’ont à ce jour fait l’objet d’aucune réponse de votre part. L’Observatoire s’étonne du manque de diligence de vos services, et rappelle que d’autres avocats, djiboutiens et étrangers, ont pu plaider devant la Cour suprême dans d’autres affaires.

Pour rappel, le 11 avril 2007, M. Jean-Paul Noël Abdi avait été condamné par la Cour d’appel de Djibouti à un an de prison dont 11 mois avec sursis et 200 000 francs djiboutiens d’amende pour « divulgation de fausses nouvelles », et « diffamation ». Ses avocats, Me Luc Aden, Me Zakaria Abdillahi et Me Michel Tubiana, mandaté au nom de l’Observatoire pour le représenter, avaient alors formé un pourvoi en cassation.

L’Observatoire dénonce le harcèlement judiciaire dont continue de faire l’objet M. Noël-Abdi, et craint qu’il ne vise à sanctionner ses activités de défense des droits de l’Homme.

L’Observatoire rappelle en outre qu’au terme de l’article 6(b) de la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’Homme, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 9 décembre 1998, “chacun a le droit, individuellement ou en association avec d’autres de publier, communiquer à autrui ou diffuser librement des idées, informations et connaissances su tous les droits de l’Homme et toutes les libertés fondamentales”. L’article 12.2 de cette même déclaration dispose par ailleurs que “l’État prend toutes les mesures nécessaires pour assurer que les autorités compétentes protègent toute personne, individuellement ou en association avec d’autres, de toute violence, menace, représailles, discrimination de facto ou de jure, pression ou autre action arbitraire dans le cadre de l’exercice légitime des droits visés dans la […] Déclaration”.

Madame la Première présidente, en votre qualité de premier magistrat de la nation, vous comprendrez qu’en l’absence de réponse aux points soulevés par Me Tubiana, et de convocation écrite mentionnant clairement la date l’audience et respectant un délai raisonnable permettant à son conseil d’être présent, les droits de la défense de M. Jean-Paul Noël Abdi ne peuvent être garantis. Un report d’audience est par conséquent indispensable, afin de permettre à Me Tubiana d’obtenir toutes les garanties nécessaires quant à sa possibilité de plaider devant votre juridiction, et de préparer son déplacement à Djibouti dans les meilleures conditions. Ces éléments sont indispensables afin que la législation nationale et les normes internationales et régionales en matière de droits de l’Homme soient pleinement respectées.

En espérant que vous prendrez ces éléments en considération et accorderez une suite positive à ces demandes, nous vous prions d’agréer, Madame la Première Présidente, l’expression de notre haute considération.

Souhayr BELHASSEN
Présidente de la FIDH

Eric SOTTAS
Secrétaire général de l’OMCT