30/07/2017 (Brève 1046) Assassinat du juge Borrel : la soif de vérité d’Elisabeth, sa veuve (Texte et Vidéo dans Le Parisien)

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La veuve du juge français mort à Djibouti en 1995 s’exprime pour la première fois depuis qu’un rapport a confirmé, ce mois-ci, la piste criminelle. Une femme plus déterminée que jamais.

De sa terrasse, son regard bleu acier embrasse à travers les brumes de chaleur les majestueux massifs de Belledonne, des Bauges, et la pointe du Granier. Dans le jardin, un immense cerisier sert d’abri aux oiseaux, dont elle connaît chaque espèce. Accompagnée de Filou, son malicieux caniche, Elisabeth Borrel, 60 ans, magistrate, a trouvé à La Boisserette son refuge pour «défendre la mémoire de son mari».

La veuve du juge Bernard Borrel, assassiné après avoir été battu à mort et son corps brûlé la nuit du 18 au 19 octobre 1995 à Djibouti, où il était détaché auprès du ministre de la Justice locale, prévient qu’elle «ne lâchera rien» pour démasquer «les commanditaires» et «chercher le mobile» de l’assassinat du père de ses deux fils, Pierre-Alexandre, 29 ans, et François-Xavier, 27 ans. Mi-juillet, le parquet de Paris et les juges d’instruction Cyril Paquaux et Aïda Traoré ont confirmé «l’origine criminelle du décès» du magistrat Bernard Borrel. Engagée dans un long combat judiciaire semé d’embûches politiques sur fond de diplomatie militaire, Elisabeth Borrel, soutenue par ses avocats, Mes Olivier Morice et Laurent de Caunes, se bat «par amour» et «non pas par haine». Entretien.

++ Comment avez-vous vécu ce dernier rebondissement ?
Élisabeth Borrel.
 Je suis contente. Mais d’un autre côté, je regrette que cela ait mis vingt-deux ans à sortir. Car les éléments sur lesquels reposent les conclusions des experts existaient déjà il y a vingt-deux ans. Mais ils ont été systématiquement écartés par deux juges d’instruction dont la seule mission était de verrouiller la seule version du suicide. Ils ont d’ailleurs été dessaisis du dossier en juin 2000 et ont définitivement perdu leur procès en diffamation contre mes avocats… On avait missionné mon mari dans l’enquête sur l’attentat du Café de Paris à Djibouti en octobre 1990, où l’enfant d’un militaire français avait été tué. Malgré cela, certains ont trahi les rapports qu’ils avaient avec mon mari. C’est impardonnable.

++ Qui pouvait avoir intérêt à faire croire au suicide de votre mari ?
Je pense qu’il faut chercher au niveau des plus hautes autorités des deux États. On dispose aujourd’hui d’un compte rendu d’un entretien très détaillé de mai 2005, où l’un des protagonistes conseille noir sur blanc à son interlocuteur de Djibouti de saisir la Cour internationale de justice de La Haye contre la France ! Et ce dans l’unique but que les autorités djiboutiennes obtiennent la copie du dossier criminel français. Tout cela avait pour objectif de faire condamner à Djibouti de petits délinquants, des lampistes, sans lien avec le meurtre de mon mari. Une fois l’affaire jugée là-bas, cela aurait eu pour conséquence directe de faire clôturer ce dossier en France par le juge qui instruisait le dossier.

++ VIDEO. Assassinat du juge Borrel : «On a besoin de la vérité pour survivre»

++ En voulez-vous aussi à la magistrature ?
Je n’ai pas compris au début de l’affaire que j’avais contre moi certains magistrats. Mon mari étant procureur, moi-même étant magistrate, je n’ai jamais imaginé que des magistrats de mon pays soient soumis à des instructions dans ce dossier. On évoque souvent le corporatisme dans notre métier, il a joué contre moi. Et dans ce petit monde de 8 000 magistrats, on y a fait courir les pires insanités sur mon mari pour l’accuser d’être pédophile et affirmer qu’il s’était suicidé en se mettant à genoux dans une position expiatoire. Il y a eu une coalition de magistrats contre moi qui dénigraient Bernard. C’est une blessure profonde. On m’avait déjà enlevé mon mari, mais là on m’enlevait aussi mes illusions sur la profession en laquelle je croyais.

++ Comment cette affaire a-t-elle impacté votre vie familiale ?
Heureusement que j’avais la famille de mon mari, et notamment ma belle-mère, sans oublier mes parents, qui m’ont toujours aidée. Ils ont toujours été présents. Grâce à eux, j’ai pu faire face. Personne n’a cru au suicide de Bernard dans la famille. Mes fils ont pu surmonter tout cela, car ils avaient une totale confiance en nous. Cela leur a permis de survivre à toutes les attaques. Ils avaient 5 et 8 ans au moment de la disparition de leur père. Et leur confiance dure encore. (Sa voix se trouble.) J’avais aussi des amis sûrs. Je ne me suis pas trompée sur mes choix. Ils ont été d’un grand soutien quand j’ai affronté deux cancers successifs.

++ Plus de vingt ans après, quel est votre état d’esprit ?
Je n’ai pas de sentiments de vengeance. J’ai dépassé ce stade. Mais mes fils ont soif de justice. Ils ont cette énergie et cette espérance. Il nous faut la vérité, pas une vérité judiciaire arrangée. Aujourd’hui, on cherche le mobile et les auteurs de l’assassinat de mon mari. Les commanditaires, je sais que cela sera très difficile. Trop de personnes savent. Et l’un d’eux finira bien par parler. On le saura.