14/05/2021 (Brève 1815) Djibouti, un régime monarchique (Blog de Mediapart)

par Amadou Bal BA

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Djibouti, la corne de l’Afrique, son régime monarchique et dynastique

Je ne savais pas grand-chose sur Djibouti, jusqu’à ce qu’un contact sur Facebook, Jibril ou l’Ange Gabriel, régulièrement, par ses interventions, attire mon attention sur ce pays.

Le fait politique majeur à Djibouti, réside dans le fait que ce pays, depuis son indépendance, le 27 juin 1977, n’a connu que deux présidents de la République. Hassan Gouled APTIDON (1906-2006) est le premier président du 27 juin 1977 au 8 mai 1999 (22 ans).

L’actuel chef de l’Etat, Ismaïl Omar GUELLEH, né le 27 novembre 1947, à Diré Dawa, est au pouvoir depuis le 9 mai 1999, soit 22 ans et quelques jours ; Il a été réélu à 5ème mandat, le 9 avril 2021, avec un score de 98,58%. Agé de 73 ans, en 2026, le président Ismaïl Omar GUELLEH sera frappé par la limite d’âge de 75 ans, imposée par la Constitution de 2010. Cependant, il avait promis, en 2011, en se présentant à l’époque, pour une troisième fois, que ce serait son dernier mandat.

Djibouti, un pays francophone et arabophone de 990 000 habitants, presque à 99% musulman, avec une grande diversité ethnique (Somalis, Afars, Issas) mais dominé au plan politique par un seul groupe ethnique, les Afars. A Djibouti, il n’existe qu’un seul parti politique, celui du président de la République ou le «Rassemblement populaire pour le progrès».

La Françafrique, comme dans les autres pays africains, a su placer ses hommes de confiance aux rennes du pouvoir. Ainsi, le premier président, Hassan Gouled APTIDON, né en Somaliland, en pays Issa, où il exerce des emplois modestes, devenu sénateur de la Côte française des Somalis en 1950, il rassure en 1966, le général de GAULLE, «pour une indépendance protégée par la France», le neutralisme politique et le non-engagement à l’égard de l’URSS et les Etats-Unis. Mahmoud HARBI (1921-1960) premier nationaliste djiboutien moderne prônant la fin de la domination coloniale, ayant posé pour la postérité les fondements du nationalisme djiboutien, est disparu trop tôt. Officiellement, il est mort le 29 septembre 1960, d’un accident d’avion dans le vol entre Genève et le Caire.

Pays d’Afrique de l’Est, d’une dimension géographique très réduite, avec une surface et deux grands lacs Assal et Abbe ainsi qu’un parc national de Day, Djibouti, dans le golfe de Tadjoura, au bord de la mer rouge, entre l’Erythrée, le Soudan, l’Ethiopie, la Somalie, et en face du Yémen, non loin de l’Arabie Saoudite, occupe une zone stratégique majeure dans le commerce international maritime. En effet, cette position stratégique de ce petit pays de 23 200 km2, en fait le siège de nombreuses bases militaires, notamment française, américaine, de l’OTAN et de Chine.

Djibouti, jugé pays stable, est cependant entouré de pays particulièrement turbulents (Erythrée, Somali, Ethiopie, Soudan et en face le Yémen). En 1968, Henri BRUNSWIG parlait d’une «colonie inutile». Le port de Djibouti étant une place centrale, l’administration coloniale avait perçu, en termes de logistique, la place importante de Djibouti, en construisant un chemin de fer de 784 km reliant Djibouti à Addis-Abeba. Entre 2013 et 2016, les Chinois ont également construit une nouvelle ligne de fer longue de 756 km.

Djibouti est doté d’un exécutif puissant, mais d’un pouvoir législatif faible et sans autre contrepouvoirs (presse libre, syndicats). A Djibouti, l’opposition est laminée et bâillonnée. On dit que l’actuel président de Djibouti serait détenteur d’actions dans de nombreux journaux influents, comme Jeune Afrique, et suscite des tensions dans les pays voisins pour se faire oublier. En 1990 l’opposition Afar, à travers le Front pour la Restauration de l’Unité et de la Démocratie, était entrée en conflit avec le gouvernement ; des combats ont fait des milliers de morts et des exilés, mais un accord a été conclu le 26 décembre 1994.

On évoque souvent des exécutions arbitraires ou des disparitions.  L’impunité est devenue endémique. Les autorités ont rarement pris des mesures pour identifier les responsables qui avaient commis des abus, enquêter à leur sujet, les traduire en justice ou les punir, qu’ils fassent partie des services de sécurité ou d’autres secteurs du gouvernement.

Les questions de corruption, de blanchiment d’argent sale, les arrestations arbitraires, la torture ou la discrimination à l’égard de certaines ethnies, notamment les Somalis majoritaires, mais écartés du pouvoir, occupent le devant de la scène politique, avec une grande pauvreté. Déjà, par ses enquêtes, le juge Bernard BORREL (1955-1995), qui sera tué à Djibouti, en octobre 1995, avait soulevé ces graves interrogations.

Sa veuve, de Toulouse, magistrate également, réclame la levée du secret défense et les différentes entraves l’enquête sur cet assassinat, resté encore non éclairci. Le corps de Bernard BORREL, un coopérant français, au ministère de la justice à Djibouti, a été retrouvé calciné le 19 octobre 1995 dans des rochers, à 80 km de Djibouti. Alors que le corps du juge BORREL est toujours à l’endroit où on l’a retrouvé, un télégramme part de l’ambassade de France à Djibouti vers le Quai d’Orsay à Paris : «Bernard Borrel s’est donné la mort».

Sa femme, Élisabeth, est informée du suicide de son mari. On lui promet une autopsie à Djibouti ; elle n’aura jamais lieu. Quand elle demande des documents médicaux, comme les radiographies du corps de Bernard, on lui annonce qu’ils ont disparu. En mars 2020, l’Etat français a été condamné à 140 000 euros de dommages et intérêts à Mme Elisabeth BORREL et à ses deux enfants, pour «faute lourde», dans l’enquête sur l’assassinat de Bernard BORREL.

Djibouti, situé dans le golfe de Tadjoura, appelé jadis Côtes françaises des Somalis, puis devenu en 1967, le Territoire des Afars et des Issas a une longue histoire, encore vivace. En 1885, un voyageur français, Lionel FLEUROT (1853-1934), a rencontré un sultan du golfe de Tadjoura, Ahmed Ben Mohamed. Souad Kassim MOHAMED a recueilli les contes et comptines arabes de Djibouti ; ce qui constitue le premier ouvrage écrit sur la littérature orale de ce peuple et en fait une œuvre inédite. Les textes recueillis y sont transcrits en alphabet arabe et en alphabet phonétique international, et également traduits en français.

A la croisée de l’Afrique, du Moyen-Orient et de l’océan Indien, Djibouti était au Moyen Age un important carrefour commercial entre les Arabes et l’Afrique, notamment pour le trafic d’esclaves ou le commerce des aromates. Les Britanniques s’installent à Aden en 1839, sur le golfe d’Aden au débouché de la mer Rouge. C’est pour faire pièce à cette expansion britannique dans la région de la mer Rouge que les Français s’installent à Djibouti. En 1862, un traité entre la France et les chefs afars de la région d’Obock cède Obock, au nord du golfe de Tadjoura, à la France ; ils ne quitteront Djibouti qu’en 1977.

Djibouti, un Etat multiculturel et riche de la diversité de ses populations, compte de grands écrivains, mondialement connus, comme notre ami, Abdourahman WABERI. Cet auteur, vivant en France, s’intéresse notamment aux questions d’exil et d’identité. Ainsi, un matin, sur le chemin de l’école maternelle, à Paris, une petite fille interroge son père : «Dis papa, pourquoi tu danses quand tu marches ?».

La question est innocente et grave. Pourquoi son père boite-t-il, pourquoi ne fait-il pas de vélo, de trottinette ? Le père ne peut pas se dérober.

Il faut raconter ce qui est arrivé à sa jambe, réveiller les souvenirs, retourner à Djibouti, au quartier du Château d’eau, au pays de l’enfance. Dans ce pays de lumière et de poussière, où la maladie, les fièvres d’abord puis cette jambe qui ne voulait plus tenir, l’ont rendu différent, unique. Il était le «gringalet» et «l’avorton» mais aussi le meilleur élève de l’école, le préféré de Madame Annick, son institutrice venue de France, un lecteur insatiable, le roi des dissertations. Abdourahman  WABERI se souvient du désert mouvant de Djibouti, de la mer Rouge, de la plage de la Siesta, des maisons en tôles d’aluminium de son quartier, de sa solitude immense et des figures qui l’ont marqué à jamais : Papa-la-Tige qui vendait des bibelots aux touristes, sa mère Zahra, tremblante, dure, silencieuse, sa grand-mère surnommée

Cochise en hommage au chef indien parce qu’elle régnait sur la famille, la bonne Ladane, dont il était amoureux en secret. Il raconte le drame, ce moment qui a tout bouleversé, le combat qu’il a engagé ensuite et qui a fait de lui un homme qui sait le prix de la poésie, du silence, de la liberté, un homme qui danse toujours.

Pays musulman, de tradition et d’expression française, avec un îlot chrétien bien acclimaté, tout en renonçant à l’évangélisation des musulmans mais non à témoigner de l’Evangile, la femme occupe une importante place dans la littérature de Djibouti. Il y cohabite, entre Somali, Afars et Issas, des Arabes, des Yéménites, installés en nombre à ayant monopolisé de nombreux secteurs économiques et acquis une influence qui n’a jamais débouché sur une prise de pouvoir politique. Par deux fois, et avant 1977, la question de l’indépendance avait profondément divisée les Djiboutiens. Placés entre les autochtones et les colons, les Yéménites se sont, aux approches de l’indépendance, partagés entre partisans du maintien de la présence de ces derniers et sympathisants des revendications nationales.

Dans les années 1970 l’émergence de multiples associations culturelles et les premiers journaux djiboutiens conduiront à l’indépendance, le 29 juin 1977, constituent un ensemble de facteurs traduisant la volonté de s’exprimer et de s’affirmer. Dans cette grande effervescence culturelle, on retiendra les noms de Abdillahi Doualeh et Houssein Abdi.