16/04/03 (B193) Maître Aref et le système autoritaire : une relation honteuse . Lecteur.

Maître Aref est
un personnage à double facette comme beaucoup d’autres personnes de
la petite élite politico-économique-juridique. A la différence
d’autres collègues, il se présentait, il y a encore quelques
années, comme un défenseur des Droits de l’Homme. Encore une
étiquette de plus, après d’avocat. Son arrestation arbitraire
en 1991 avec son oncle Ali Aref lui l’a mis au devant de la scène dans
une dictature où toute personne est soupçonnée d’appartenir
à des groupes politiques opposés. On parlera aujourd’hui des
groupes terroristes. Le Premier ministre et le Président de l’Assemblée
disent, à qui veut les entendre, que « la République fait
partie de la coalition internationale de lutte contre le terrorisme international ».

L’autre facette, nouvelle, est son attitude à l’égard du pouvoir
en place. De critique, mais non opposant convaincu, il passe à une
étape de régression intellectuelle : prendre la défense
des membres du régime autoritaire.

Pour comprendre ce virage
qui donne le vertige à ceux qui le considérait pour un défenseur
des Droits de l’Homme, il est intéressant d’analyser ses propos dans
différents contextes.

Je m’appuierai sur l’entretien
qu’il a accordé au journal Les Nouvelles d’Addis en 2001.

La fonction de défense
des Droits de l’Homme, qu’il aurait eu, doit être relativisée.
Défendre ces droits ne doit pas résulter du fait qu’on est à
un moment donné victime de la répression du pouvoir. Ce n’est
pas depuis 1991 que le régime gouledien, mais bien avant. Du fait qu’en
1990, il soit arrêté avec son oncle et détenu dans un
camp militaire sans jugement, il s’est considéré comme les autres
victimes innocentes du régime fasciste de Hassan Gouled et de IOG.
Il dit « comme ceux qui ont été physiquement touchés
dans leur chair, soit blessés, soit torturés et puis évidemment
ceux qui ont perdu leur situation professionnelle ainsi que ceux qui ont perdu
leurs biens. Bien que je fasse partie de ces trois dernières catégories »,
mais relativise toutefois en disant que  » je considère que je
suis un privilégié par rapport à toutes ces victimes ».
Il est vrai qu’on lui a empêché d’exercer son travail d’avocat,
qu’on lui a privé sa ressource principale de revenu.

La prétention :
le centre d’une histoire nationale

Être prétentieux
et exprimer un orgueil mal déplacé sont des caractéristiques
de notre célèbre Maître. Il personnalise un événement
malheureux pour celles et ceux qui ont perdu leur vie, leurs biens, leurs
professions et leur avenir : la sale guerre du régime autoritaire.

Tentant d’expliquer les
causes de la guerre, il supprime les actions des hommes et des mouvements
qui se sont battus pour une cause noble : se libérer de l’oppression
élevée en gouvernement. Ecoutons le : « j’en sais quelque
chose puisque la guerre civile s’est déclenchée après
l’arrestation de mon oncle et de moi-même, en 1991. Comme les autres
ont l’impression de se diminuer en le disant. Il faut le dire, il faut le
reconnaître, tout le monde le sait. Tout le monde sait que c’est parce
que M. Ali Aref a été arrêté qu’une guerre civile
s’est déclenchée immédiatement après, qu’elle
s’est étendue et qu’elle a eu les conséquences que l’on sait.
Ceci pour vous dire que j’en sais quelque chose, sur les causes et les origines
de la guerre civile ». Quelle merveille interprétation de l’horrible
guerre ?

Mais que rôle politique
et symbolique avait Ali Aref pour qu’il y ait une guerre? Que représentait-il
pour les Afars, pour les rebelles qui l’ignoraient ainsi que son oncle? Le
Maître s’arrête des débits qui ne produisent aucun sens
pour certains Djiboutiens, bien sûr il y a toujours d’autres qui le
prennent comme le détenteur de la vérité dans le conflit
armé. Il n’explique pas les raisons qui ont conduit l’arrestation de
l’ancien président du gouvernement local entre 1967 et 1976. Le régime
autoritaire a donné une explication en 1991 sur l’arrestation de ce
dernier, bien sûr là une explication non convaincante.

La problématique
de la différente visible

Maître Aref n’est
pas un personnage comme les autres. Ses collègues ne se font tant remarquer
comme lui. Qu’est-ce qui fait la particularité de ce dernier? Un premier
élément de réponse serait le fait qu’il soit de la même
famille un ancien président du gouvernement local durant la dernière
décennie de la colonisation française. Il y a de ces noms qui
restent collés à la personne. Après l’indépendance,
le jeune avocat qu’il était ne s’est pas préoccupé des
Droits de l’Homme, une expression horrible pour le pouvoir autoritaire. Les
affaires marchaient bien pourquoi bon mettre des bâtons de les roues
des dirigeants nationaux. Contrairement à ce qu’il dit dans l’entretien,
il fait indirectement partie « de cette catégorie de bourgeoisie
politico-bureaucratique ». Faire partie ne signifie pas seulement occuper
un poste administratif ou politique, mais c’est aussi être de connivence
avec des pratiques de cette bourgeoisie comprador comme disait fort justement
Sami Amin. Il n’est pas utile de se justifier quant à sa situation
professionnelle pour se démarquer d’un ensemble avec lequel on partage
des valeurs, peut être qu’on ne définit de la même manière.

Malheureusement pour tout
ce qu’une personne peut faire de son propre chef, les gens retiennent un nom,
un personnage, une activité, une époque, une politique pour
généraliser à l’environnement familial. Et c’est ce que
certains Djiboutiens ressentent quand ils entendent parler du Maître
Aref. Comme on le sait bien les Djiboutiens ont le verbe facile, ils étiquettent
vite la personne souvent dans le sens du mal.

La défense inutile
: la difficulté de changer les faits historiques

Si on reprend l’histoire
de l’ex colonie française comme nous invite Aref dans l’entretien,
ou bien il exprime un sentiment qu’il a toujours eu ou bien il trompe les
gens, et c’est malhonnête de sa part. A une réponse d’une question
précise, celui-ci s’en prend et trouve nécessaire de faire des
comparaisons qui n’ont pas lieu d’être. Il applaudit et disculpe un
des personnages les plus horribles et les plus inhumains et cruels de la politique
française en Afrique ou la Françafrique en reprenant François
Verschave Michel Foccart.

Pourquoi introduit-il
dans l’entretien alors qu’il n’y a pas lieu de le citer ?

Tente-t-il de disculper
de tous leurs crimes de Hassan Gouled et de IOG ?

Ou c’est une divagation
de l’avocat qui confond le discours au prétoire et un discours sur
une situation politique complexe. Non, si on analyse avec une certaine objectivité
la politique de la métropole à la TFAI, on remarque bien que
Foccart, conseiller et même tête pensante de De Gaule pour les
questions africaines, est un appui fort de Ali Aref. On sait que les élections
durant cette époque, comme aujourd’hui, étaient manipulées,
le contrôle de la chambre des députés à Djibouti
et l’accession à la tête du gouvernement local dépendaient
des politiques élyséennes. Donc Aref avait comme appui dans
la classe politique française en son temps, Foccart parce qu’Ali Aref
était un homme qui ne demandait une indépendance. Il évoque
cet horrible personnage dans la position de la France par rapport aux questions
internes djiboutiennes, c’est-à-dire du fait qu’elle a une base militaire
importante elle peut imposer quelque chose au gouvernement djiboutien.

Il dit « qu’on ne
vienne pas me dire que ces pratiques étaient exclusivement réservées
à M. Foccart, ce sont des pratiques qui se sont perpétuées
par la suite et de bien mauvaise manière et ailleurs » et d’ajouter
qu’ « avec M. Foccart, il n’y a pas eu de génocide, alors qu’avec
d’autres il y a eu des génocides. Il y a eu un génocide au Rwanda,
en un mois, on a tué un million de personnes. Ils ont fermé
les yeux en ayant livré les armes, ce n’est pas possible cela. Ça
ne s’est jamais produit avec M. Foccart, je tiens à le dire ».
A quoi bon s’enorgueillir de l’attitude d’un criminel. Au de faire le procès
d’un tel homme, il le disculpe et n’accorde aucune considération le
travail sérieux effectué par François Verschave (auteur
de

La Françafrique.
40 ans de crimes de la République, il a fait l’objet de procès
intenté contre lui par les tenants du système françafricain
comme Charles Pasqua). Il dit qu’il est « farouchement attaché
à mon indépendance d’esprit comme d’opinion, autant qu’aux vertus
enseignées par l’Islam véritable, ainsi qu’aux valeurs de la
démocratie, des droits de l’Homme, du libéralisme économique
et du respect de la dignité humaine des travailleurs ». Bien, mais
pourquoi alors chercher à justifier en faisant le détour sur
un passé horrible et un personnage sinistre pour expliquer une situation
actuelle. Il y a sans doute une logique propre à l’avocat que le commun
des mortels n’entend pas. Cela ne serait pas reproduire et défendre
un discours de la bourgeoisie politico-bureaucratique?

Le Maître Aref se
trouve dans une situation difficile : se présenter comme un défenseur
des Droits de l’Homme (je répète à plusieurs reprise
Je suis un militant des Droits de l’Homme) et expliquer une situation sociopolitique
avec des bases historiques et actuelles qu’il ne manipule à des fins
personnelles.

Interprétation
de l’accord du 12 mai 2001 : le soutien d’un dictateur sanguinaire

Interpréter un
texte est toujours un exercice difficile. Car il s’agit d’expliquer à
un large public les intentions de ceux qui ont signé un accord ou une
convention qui est supposé produire des conséquences dans la
vie quotidienne des citoyens.

Ecoutons-le « le premier
point, le plus important, est celui indiqué par M. Ismaël Omar
Guelleh en personne, qui a excellemment conclu dans son discours : « Plus
jamais ça ». Comme une découverte qu’il vient de faire,
il saute sur une formule creuse, qui n’a aucun sens. Il est inutile de lui
rappeler que cette formule a été utilisée par certains
dirigeants européens pour manifester leur horreur à l’égard
du génocide juif du régime nazi.

En politique, certaines
expressions, utilisées à un moment donné, produisent
un effet hypnotique chez certaines personnes, celles-ci considérant
même plus un élément plus important que leur contenu et
leurs conséquences sur le terrain. Alors comment explique-t-il ce « plus
que jamais ça ». Cela veut dire, écrit-il que tout ce qui
s’est produit pendant cette période est absolument inacceptable pour
un pays. Mais cela tout le monde le dit, IOG parce qu’il se trouve illégalement
à la tête de l’Etat que cette explication est valable. No Maître
Aref. Il faut sortir du piège parce que ce dernier n’accorde aucune
importance sur ce qu’il dit. Et Aref de justifier la position du diable :
« en disant cela, il a fait preuve d’un courage auquel il faut rendre
hommage, pas un hommage de type flagornerie, comme l’a signalé aussi
très bien dans son discours, M. Dini, mais un hommage à quelqu’un
qui reconnaît la gravité de la situation que le pays a traversée ».

De quel courage d’IOG
parle Aref? Franchement il est difficile de le suivre dans ses explications.
Reconnaître la gravité de la situation du pays est-il un courage?
Tout le monde le sait, c’est une réalité qui s’impose à
la grande majorité, parce qu’il y a d’autres qui ne vivent pas la même
réalité de tout le monde. Tous les jours les gens dans la rue
parlent de gravité de la situation du pays à tel point que c’est
devenu banal. Il n’y a donc aucun courage d’IOG à signaler dans cette
cérémonie de la signature de l’accord du 12 mai 2001. Alors
son courage « exceptionnel » tiendrait-il à autre chose?

Aref a trouvé,
il est lié à un engagement politique. Non, mais ceci vient après
la constatation du fameux courage. Convaincu du contenu de l’accord ou obnubilé,
peut-être, par une promesse qui lui a été fait, il explique
à qui veut l’entendre  » le fait de le reconnaître et de
s’engager à ce que cela ne se reproduise plus constitue un engagement
politique, humain, moral pour l’avenir. Et d’insister que « c’est vrai
que c’est un engagement pris par une personne » la mettant en valeur « je
dirais que ce n’est pas n’importe quelle personne ». Se sentant qu’il
fait plus royaliste que le roi, position difficile à supporter il essaie
de corriger en disant que « d’autres personnes ont pris cet engagement
avec lui et elles ne sont pas non plus n’importe qui. Je suis confiant dans
le premier point, le plus important, qui est la restauration de la paix ».
Et de conclure sur l’explication philosophique, mieux dirai-je métaphysique,
que le « plus jamais ça » veut dire que nous ferons tout pour
que la paix revienne enfin et définitivement dans notre pays ».

Plus que des explications
sérieuses, il fait un exercice de trapéziste. En d’autres termes,
il tente d’expliquer un accord tout en mettant en exergue des personnages
en commençant le dictateur. Il est vrai qu’un accord existe parce qu’au
moins deux personnes sont mises d’accord. La peur de répression sauvage
de ce dernier expliquerait l’attitude de Aref? Peut être. En tout état
de cause, il est confiant sur le développement futurd’un tel accort
quand il écrit que  » puisqu’il est dit « plus jamais ça ».
Les choses doivent changer. Il faut donc être constructif et faire des
propositions ».

Quel esprit positif cet
Aref ? Ou quelle bêtise ? N’a-t-il pas compris que les choses ne changent
de leur propre chef et que l’esprit constructif et les propositions des uns
et des autres ne servent à rien ou sont complètement ignorés
par le dictateur en empêchant par exemple de tenir compte de l’opinion
exprimée par le peuple. Comment Aref peut-il expliquer qu’un pouvoir
honni puisse rester au pouvoir sans les fraudes organisées, sans les
manœuvres d’obstruction à la libre expression des citoyens, sans
réprimer les opposants… Non franchement il y a de quoi à
être désespérer de ce discours creux et propagandiste.

Et justement de propagande,
Aref fait tout au long de l’entretien et en particulier quand il affirme que
« en déclarant clairement vouloir tourner le dos à un tel
passé, les accords qui viennent d’être parachevés me semblent
rompre avec ce système et j’espère que leur application le confirmera,
faute de quoi, les Djiboutiens sombreront dans le plus profond désespoir
qui conduira immanquablement au chaos » et d’ajouter avec un enthousiasme
enfantin que « c’est dire si les Djiboutiens doivent absolument réussir
à rompre avec détermination avec tous les systèmes qui
ont conduit à la faillite et à un déchirement sans précédent ».

Je rappelle à Aref
que les accords n’ont produit aucun effet positif. Le régime autoritaire
continue de gouverner dans la terreur le pays. Mieux le système se
sent renforcé par cet accord qu’il a traduit comme carte blanche qui
lui a été donnée pour faire ce qu’il veut. D’ignorer
davantage les Droits de l’Homme et le jeu démocratique en organisant
des mascarades d’élections. Il n’y a pas un autre chaos qui attend
le peuple djiboutien, il en vit déjà un depuis plusieurs décennies.

Je crois que les lecteurs
ont compris la logique de Aref dans ses différentes positions. Il a
montré clairement comment en fait plus qu’un militant des Droits de
l’Homme, il est un défenseur du système autoritaire. Et cela
explique sa position dans le dernier procès de DAF où il a été
avocat du Général Zakaria Cheik Ahmed. Il avait parlé
 » des accords de paix signés « , que lui,  » a tourné
la page « . Condamner un opposant et journaliste pour avoir exprimé
une opinion n’est pas appliquer des accords, aussi importants soient-ils.
Le pouvoir judiciaire qu’il appelle de ses vœux dans l’entretien, il
faut tenter de le donner corps à son niveau en faisant preuve d’une
lucidité dans les procès. Défendre le droit, s’opposer
à une orientation politique des procès, c’est exercer le pouvoir
judiciaire. Mais au lieu de cela,
il
prête ses services à un élément sinistre du système.

Aref n’est donc qu’un
défenseur d’un système qui broie toute une population tous les
jours. Et cela est honteux. Pas tellement pour un homme qui n’a pas une conviction.
Après être malmené par le système, emprisonné
et privé de sa profession, voilà qu’il défend les personnages
sombres et cruels de ce système totalitaire. Quel parcours?

Elmi
Awaleh