11/12/03 (B224) Une décision judiciare regrettable…(affaire Daf contre général ZAKARIA) (Lecteur)
Le Maître des requêtes
D’Ormesson, de qui un certain Roi de France sollicitait officieusement
des services pour mettre en cause un certain intendant Foucher rétorqua
:
"Sir le Conseil rend
des arrêts pas de services". On aurait aimé que les juges
à la Cour d’Appel de djibouti fasse preuve d’une indépendance
identique.
A leurs décharges,
ils pourront toujours souligner, que depuis, beaucoup d’eau à couler
sous les ponts de France et de Navarre : la langue de bois ambiante tranche
avec les propos incisifs d’alors.
Il n’en reste pas
moins que les mêmes eaux ont charrié sur les rivages, à
la portée du justiciable de la "France d’en bas", certains
principes comme le droit à un procès équitable, avec des juges
indépendants et impartiaux..
La lecture de l’arrêt
d’Appel permet en tout cas , alors même que l’affaire était
relativement sordide, d’émettre certaines réserves tant
sur la forme(1), que sur le fond (2).
1- les réserves
de l’arrêt relativement au droit processuel.
Il est classiquement admis
que l’irrégularité de la citation à comparaître est
absorbée par la comparution volontaire du prévenu .C’est
ce que les processualistes appellent la théorie de la comparution volontaire.
De même il est classiquement admis que la contestation de l’irrégularité
de la citation doit Ltre soulevée avant tout moyen relatif au fond,
c’est à dire in limine litis.
L’avocat de la défense
devait donc soulever l’ irrégularité de la citation au
seuil du procès, mais à quoi cela servait-il, car de toute façon
la théorie de la comparution volontaire allait être opposée
par le Procureur?
En réalité
Maître Omar savait pertinemment que la théorie allait lui Ltre
opposée, mais ce dernier cherchait juste à obtenir un renvoi d’audience
dès lors que la citation était irrégulière à cause du non respect
du délai de dix jours entre la notification de la citation et la date
d’audience. En effet la comparution volontaire du prévenu absorbe
l’irrégularité de la citation; mais si ce dernier estime
que ces droits de la défense sont mis en cause, il peut demander un
renvoi d’audience et il est de droit.
Sur ce point on peut déjà
conclure que les droits de la défense du prévenu Daf ont été
mis en cause. D’où un premier moyen de Cassation, qui se suffit
à lui même, puisqu’il y a violation d’une procédure
substantielle.
Dans le même ordre d’idées,
la Cour note qu’il ya lieu de "reformer le jugement dans son intégrité",
pour finir par prononcer de lourdes peines. La Chambre criminelle de la Cour
de Cassation estime que lorsque le juge réforme une décision
de relaxe, il doit motiver sa décision. Aucune motivation suffisante
n’apparaît dans la décision de la Cour d’Appel djiboutienne;
bien au contraire la Cour se contente de viser les textes pertinents en matière
de diffamations sans véritablement analyser les faits justificatifs.
Cela nous amène alors
aux réserves sur le fond.
2-Les réserves
de l’arrêt relativement au fond du droit.
Les textes pertinents
en matière de diffamations ont pour principale originalité d’opérer
un renversement de la charge de la preuve (a), ce qui aboutit à reconnaître
assez facilement le délit de diffamation dès lors qu’il ya atteinte
à l’honneur, entre autres. Mais cette facilité est absorbée
par la possibilité offerte à l’auteur d’avancer les faits
justificatifs de la diffamation, cela amène alors le juge a apprécier
la pertinence des preuves. Ce qui évoque une précision de l’office
du juge en matière de diffamation.(b)
a) le renversement de
la charge de la preuve.
De manière traditionnelle,
la charge de la preuve incombe au demandeur. Mais il arrive que cette règle
de procédure, qui a valeur d’un principe général
de droit soit renversée par le législateur. Les textes en matière
de diffamations font parties de ces dérogations. Il n’est pas
contestable en effet tant dans la législation française que
djiboutienne qu’il ya un reversement de la charge de la preuve : il appartient
au journaliste incriminé d’apporter la preuve, non pas que les
propos ne sont pas diffamatoires, mais qu’ils sont réels, vrais
et proviennent d’une source sérieuse. A défaut, le journaliste
peut encore apporter la preuve de sa bonne foi. Il s’agit là de l’exceptio
véritatis et de celle de la bonne foi.
Dans cette perspective
on comprend alors le ratio décidendi du législateur français
et djiboutien, le renversement de la charge de la preuve est un moyen de défense
du prévenu. èour sa défense le journaliste incriminé
doit apporter la preuve soit de la véracité de ces propos, de
sa bonne foi ou encore de la légitimité du débat occasionné
(ou souhaité) par les allégations en cause. On l’aura noté,
au demeurant, les faits justificatifs n’aboutissent pas à remettre en
cause l’atteinte à l’honneur, mais seulement à absorber le caractère
délictueux, des propos. C’est ce qui distingue( entre autres)
le régime juridique de l’injure de celui de la diffamation.
En d’autres termes
les propos pourront toujours Ltre attentatoires à l’honneur mais parce
qu’ils sont couverts par les faits justificatifs, ils ne seront pas sanctionnés,
il appartient alors au juge d’apprécier la pertinence des preuves
avancées.
b) l’office du juge
en matière de diffamation.
Assez schématiquement,
nous avons vu que le régime de la diffamation se caractérisait
par le fait qu’il appartenait au prévenu d’apporter la preuve
de la véracité des propos tenus, de la bonne foi, et enfin de
la légitimité du débat souhaité, occasionné
par le journaliste.
L’office du juge
ne se limite pas alors à l’appréciation du caractère attentatoire
des propos du journalistes à l’honneur, mais aussi à l’appréciation
des faits justificatifs. En effet l’ issue du procès en diffamation n’est
pas conditionnée par le caractère attentatoire à l’honneur des
propos d’un journaliste, car en tout état de cause ces derniers
dans un procès en diffamations le sont toujours; mais de la pertinence des
preuves allégués par le prévenu.
Or, dans l’affaire
Daf, la Cour s’est limitée à reconnaître le caractère
diffamatoires des propos sans
véritablement statuer sur un fait justificatif, qui a pourtant été
allégué dans les conclusions de Maître Omar : DAF dénonçait
une remise en cause de la neutralité de l’armée, et
de son caractère apolitique. Il affirme qu’il souhaitait un débat
sur ces deux points.
En d’autres termes,
la Cour devait répondre à la question de savoir si ces deux arguments
pouvaient Ltre assimilés à des faits justificatifs ( la légitimité
d’un débat publique).
Force est de constater
qu’il n’en est rien, ce faisant la Cour déplace le centre
de gravité du procès en diffamation : désormais la clé
du procès ne se situe pas dans la réalité des faits justificatifs,
de la pertinence des preuves, mais tout simplement dans le caractère
attentatoire des propos à l’honneur; ce qui ne nécessite
pas, en vérité, une démonstration rigoureuse. En ce sens,
on peut légitimement affirmer, au regard de la jurisprudence, qu’il
existe une présomption du caractère diffamatoire des propos,
dans un procès de cette nature; mais que cette présomption est
simple, pouvant Ltre renversée par…les faits justificatifs. Cela
étant, telle n’est pas la position de la cour d’Appel dans
l’affaire Daf : la Cour se contente de viser les textes et admet qu’il
y a diffamation. On passe alors du domaine de la présomption simple
du caractères
diffamatoire des propos d’un journalistes, lorsqu’il met en cause
une personne, au domaine d’une présomption irréfragable
!!!.
Pourtant, à l’analyse,
la Cour aurait pu éviter une telle dérive du régime juridique
de la diffamation : elle aurait pu se placer non pas sur le terrain de la
diffamation mais sur celui de l’injure, qui est aussi sanctionnée
pénalement. Il suffisait d’opérer une substitution de motifs.
Et bien entendu auquel cas elle n’aurait pas eu à analyser d’éventuels
faits justificatifs, ce qui du même coup rend absurde une critique relativement
à ces derniers.
Mais d’abord en restant sur le terrain de la diffamation, ensuite en
refusant de statuer sur la pertinence de preuves qui sont aux termes même
de la loi et de la jurisprudence des moyens de défense pour le prévenu;
la Cour aboutit à une interprétation contra legem des dispositions
actuelles. Ce qui est susceptible d’entraîner une cassation pour
deux motifs : absences de réponses à conclusions inhérentes
au caractère légitime du débat sur la neutralité de l’armée,
et défaut de bases légales; mais il est vrai que ces deux éléments
de cassation s’inscrivent plus ou moins dans celui de l’insuffisance
de motivation soulevé plus haut.
Mais là n’est
pas la critique essentielle, l’apport de cette jurisprudence peut-être
source d’une dérive:
désormais le citoyen lambda, pourra actionner un journaliste en se
contentant d’affirmer que les propos sont de natures à porter
atteintes à son honneur, et ce dernier sera sanctionné, sans
qu’il lui soit possible ni même utile d’arguer de faits justificatifs.
On assiste alors à une confusion entre le régime juridique de
l’injure et celui de la diffamation.
A mon sens, cette jurisprudence
remet fortement en cause la liberté d’expression, et opère une
confusion dans les esprits des justiciables, sans que pour autant cela n’aboutisse
à dépassionner un débat sur la liberté d’expression
des journalistes à djibouti ,de plus en plus récurrent; dommage en
tout cas que le troupe folklorique Harbi, également partie civile n’ait
pas entonné un chant au prétoire. L’on sait, en effet,
que la musique adoucit les moeurs…
"Jus"
d’orange.