21/10/07 (B418) RUE 89 : Affaire Borrel: nouveau bras de fer entre Paris et Djibouti

Par David Servenay (Rue89)

Ismaël Omar Guelleh va-t-il aller jusqu’à la rupture des relations diplomatiques avec la France? La rumeur commence à se répandre. Motif: l’affaire Borrel et ses multiples appendices judiciaires. Enjeu: la tranquillité politique dans ce petit état qui contrôle l’entrée de la Mer rouge. Pour arriver à ses fins, le régime est prêt à employer tous les moyens, y compris l’expulsion de la famille d’un des témoins clés de l’affaire.

Depuis son exil de Bruxelles, Mohamed Alhoumekani l’a appris dimanche matin: une partie de sa famille, restée à Djibouti, a désormais 24 heures pour quitter le pays. Raison invoquée: l’affaire Borrel et les déclarations de l’ancien lieutenant de la Garde présidentielle, témoin de la première heure dans le dossier criminel instruit à Paris.

Alhoumekani est en effet l’homme qui a assisté à une conversation cruciale, quelques heures après la découverte du corps du juge français Bernard Borrel, assassiné dans des circonstances mystérieuses le 19 octobre 1995.

Il entend un terroriste qu’il pensait incarcéré, Awalleh Guelleh, rendre compte à Ismaël Omar Guelleh, alors chef de cabinet du président Gouled Aptidon: « Le juge fouineur est mort, il n’y a plus de traces. » Tout cela devant le chef du SDS, Hassan Saïd, et le patron de la gendarmerie, le colonel Mahdi. Son témoignage est donc capital.

C’est le numéro 2 du Service de documentation et de sécurité (SDS) qui est venu annoncer à sa famille la nouvelle de l’expulsion, précisant que la décision avait été prise à « très haut niveau ». La suite avec Mohamed Alhoumekani…

Une manifestation commanditée par le pouvoir dans les rues de Djibouti

Douze ans après l’assassinat du juge français, une manifestation organisée samedi par le pouvoir djiboutien -les chiffres des manifestants donnés par la police (35 000) sont supérieurs à ceux des « organisateurs » officiels (20 000)!- a donné un premier signal. Désormais, le président Guelleh ne laissera rien passer. Ni les attaques contre son régime, ni les mises en cause judiciaires envers un quelconque membre de son administration.

Il faut dire que le 13 mars 2008, un procès pour « subornation de témoin » doit s’ouvrir devant le tribunal correctionnel de Versailles avec deux prévenus de choix: le chef des services secrets djiboutiens (SDS), Hassan Saïd Kharreh et le procureur général, Djama Souleïman. De quoi rafraîchir sensiblement les relations entre les deux états, surtout que les deux hommes sont constamment sous la menace d’un mandat d’arrêt international, puisqu’ils ont refusé de déférer aux convocations des magistrats français. Mais ce n’est que la partie apparente du bras de fer…

Djibouti contre-attaque en évoquant énorme scandale pédophile

En réalité, IOG, comme on surnomme le président djiboutien, prépare sa contre-attaque depuis plusieurs mois. Dès le lendemain de la réception à l’Elysée d’Elisabeth Borrel, le 19 juin 2007, les services du procureur Souleïman diffusait un communiqué se terminant par une référence très claire à une affaire d’agression sexuelle sur mineur de moins de quinze ans.

Le message est alors confus: des Français, expulsés juste après la mort du juge Borrel, seraient mêlés à un scandaleux réseau pédophile. Rien de moins. En direct dans une émission de LCI, j’interroge alors maître Francis Szpiner sur cet étrange communiqué. Gêné, l’avocat de Djibouti murmure qu’il va s’enquérir des instructions de ses clients. Rien de plus, le communiqué passe alors complètement inaperçu.

Depuis, les soupçons se sont mués en accusations. Comme le détaille Le Monde, une information judiciaire pour « viol sur mineur » est instruite à Djibouti. Le magistrat en charge du dossier a convoqué plusieurs anciens expatriés, dont deux prêtres, ainsi que deux ex-conseillers à la présidence djiboutienne: Claude Sapkas-Keller, conseiller juridique et Patrick Millon, conseiller pour la communication.

D’autres personnalités -anciens diplomates et officiers généraux français- sont visés par cette plainte. Le sous-titrage des autorités djiboutiennes est limpide: Bernard Borrel a été assassiné parce qu’il enquêtait sur cette affaire étouffée par la France. Comme le disait encore le procureur général Souleïman, jeudi lors d’une conférence de presse: « Il s’agit du plus grand scandale judiciaire de la République française. »

Menaces, intimidations, promesses de ralliement… pour écarter les gêneurs

Pourtant, difficile de ne pas voir dans ce rebondissement une réponse à la menace, de plus en plus précise, qui plane au-dessus du régime d’IOG. Judiciairement, deux de ses proches vont être jugés pour un délit (la « subornation de témoin ») passible de cinq ans de prison. Politiquement, le président djiboutien a senti que le geste de Nicolas Sarkozy d’accueillir Elisabeth Borrel à l’Elysée n’était pas neutre, mais qu’il augurait d’un retournement complet d’attitude de la part des autorités françaises. D’où la volonté de faire pression sur les protagonistes de l’histoire.

Comme l’a confié Mohamed Alhoumekani à Rue89, le général Zakharia l’a récemment appelé pour le convaincre de revenir sur son témoignage en échange d’un traitement de faveur. Ces promesses de ralliement n’ayant pas fonctionné, les tentatives d’intimidation se sont succédées, jusqu’à cette mesure d’expulsion:

En tout cas, si IOG met ses menaces à exécution, Dominique Dercherf, l’actuel ambassadeur, aura comme une impression de déjà-vu: il était en poste au Rwanda lorsque Paul Kagamé a décidé de couper les relations diplomatiques avec la France il y a presque un an.