23/07/09 (B508) Otages français en Somalie … (1 article en Français)

____________________________ 1 – Le Monde

Otages français en Somalie : Paris n’écarte aucune option

Depuis l’enlèvement de deux de ses agents à Mogadiscio, le 14 juillet, la France est confrontée en Somalie à une crise inédite qui met en jeu sa capacité à régler une affaire d’otages dans un contexte de guerre volatil. Le dossier pourrait affecter l’ensemble de sa politique dans la région, où, depuis 2008, la priorité est donnée à la lutte contre la piraterie en mer, ainsi qu’à un soutien appuyé au gouvernement somalien de transition, en butte à une insurrection armée dont certains éléments seraient liés à Al-Qaida.

La France a joué un rôle-clé en 2008 dans la mise en place d’une force européenne maritime (Atalante) au large des côtés somaliennes, où d’autres opérations militaires, notamment celle de l’OTAN, sont également actives. La France est en outre le pays occidental qui détient dans ses prisons le plus grand nombre de pirates somaliens (quinze en tout : six capturés sur terre, neuf en mer).

Une semaine après la capture des deux "conseillers" français à Mogadiscio, Paris semble évaluer toutes les options pour obtenir leur libération, y compris l’intervention de commandos au sol.

"Rien n’est écarté", a déclaré, mardi 21 juillet, le ministre des affaires étrangères, Bernard Kouchner, lors d’une conférence de presse, précisant que "la priorité est à la négociation". Il a insisté sur le fait que la préférence allait à "des moyens pacifiques". Les efforts se poursuivent pour tenter une négociation avec les ravisseurs.

En avril 2008, Nicolas Sarkozy avait opté pour l’usage de la force contre des pirates somaliens ayant participé à la prise d’otages sur le voilier le Ponant. Il avait ordonné l’intervention des forces spéciales françaises une semaine après le début de la crise, qui avait été fortement médiatisée.

Plusieurs heures après la libération des otages du Ponant – opération réalisée au moyen du versement d’une rançon -, une unité de militaires français héliportée était intervenue au sol pour capturer six pirates présumés, qui tentaient de s’échapper à bord d’un véhicule 4 × 4. L’intervention avait été présentée par l’Elysée comme un grand succès, la démonstration d’une volonté de ne pas laisser impunis les auteurs du forfait.

Depuis, la France est intervenue à deux reprises militairement, en mer, contre des pirates : le 16 septembre 2008, pour libérer les otages à bord du bateau Carré d’as, et le 10 avril 2009, pour sauver ceux du voilier de plaisance Tanit (un otage, le skipper du bateau, avait été tué dans l’opération).

Mais, cette fois-ci, les choses sont nettement plus compliquées. Libérer deux agents français détenus au sol dans le chaos somalien, où les affrontements s’intensifient entre troupes gouvernementales et groupes islamistes multiples, pose de nombreux problèmes de faisabilité et de risques.

Les deux agents français sont passés depuis leur capture, le 14 juillet, de main en main, d’un groupe armé à l’autre. M. Kouchner a indiqué qu’ils étaient désormais "séparés". Il n’a pas donné de détails quant à leur localisation. "Il semblerait – et je dis cela au conditionnel car nous recevons des informations contradictoires – qu’ils soient détenus par deux groupes différents", a-t-il dit.

Les deux agents étaient chargés d’une mission officielle dans le cadre du soutien que la France entend apporter au gouvernement somalien de transition, notamment pour la formation de ses forces armées, alors que l’étau des milices "al chabab" (les jeunes) voulant renverser ce pouvoir fragile, soutenu par une force de l’Union africaine, ne cesse de se resserrer autour de Mogadiscio.

A la question de savoir si Paris avait demandé aux autorités somaliennes l’autorisation d’intervenir éventuellement au sol avec des commandos, M. Kouchner a répondu mardi : "Il n’y a pas eu de demande." Deux jours avant, le premier ministre somalien avait déclaré que son gouvernement était disposé à accorder une telle autorisation.

Casse-tête juridique

L’idée d’une option militaire en Somalie renvoie à des souvenirs cuisants pour les Occidentaux, singulièrement pour les Etats-Unis qui, en 1993, avaient perdu dix-huit soldats dans une opération visant à capturer un chef de guerre somalien à Mogadiscio.

Le 12 avril 2009, lorsque Barack Obama a décidé une invention militaire en mer contre des pirates somaliens détenant le navire Maersk-Alabama, tout volet terrestre semblait soigneusement écarté. De même, après la libération du voilier Tanit, Nicolas Sarkozy n’a pas envisagé d’opération de poursuite sur terre alors que de telles actions ont été permises par des résolutions de l’ONU dans le cadre de la lutte contre la piraterie somalienne.

C’est précisément parce que le contexte apparaît hautement dangereux aujourd’hui en Somalie que la France a opté pour un programme de formation, à Djibouti, bien à l’écart de la zone de guerre, d’un bataillon de l’armée somalienne. Ce programme n’a pas été remis en cause, a indiqué M. Kouchner.

Le ministre a par ailleurs exprimé des doutes sur la thèse liant la capture des deux agents français à Mogadiscio au sort des quinze pirates somaliens détenus en France, où ils doivent être jugés.

Depuis 2008, la France a procédé à des dizaines d’arrestations de pirates. Une cinquantaine d’entre eux ont été remis aux autorités de la région somalienne du Puntland, et vingt-deux ont été transférés au Kenya, pays avec lequel l’Union européenne a passé en mars un accord à cet effet.

La détention des pirates somaliens est un casse-tête juridique. Les avocats français des six pirates du Ponant ont déposé une requête en nullité, contestant les conditions de leur interpellation. Ils ont été récemment déboutés. Mais un projet de loi serait en préparation à Paris pour contourner les impasses juridiques qui ont conduit, par le passé, à laisser s’enfuir des pirates.

Natalie Nougayrède