23/12/09 (B530) Le Journal de la Flibuste (1 article)

_________________ 1 – Courrier international avec Mail&Guardian

Bienvenue à Baraawe, ville des pirates

Située au sud-est de Mogadiscio, la ville de Barawee est un oasis de prospérité dans un pays ravagé par la guerre et la misère.

Rafik Muhammad Dhana

Repères

La Somalie est devenue le repaire d’où partent la plupart des
attaques de pirates qui écument le golfe d’Aden. Les eaux territoriales
somaliennes sont devenues un véritable danger pour la marine internationale.
Plus de 20 000 bateaux croisent chaque année au large de la Corne de
l’Afrique, qui voit transiter 30 % du pétrole à destination de l’Europe.
Pour faire face à cette situation, l’Union européenne s’est résolue à lancer sa
première mission navale, baptisée Atalante ; celle-ci vient d’être
reconduite pour douze mois. Objectif : sécuriser ces eaux troubles et
combattre un phénomène qui menaçait de limiter sérieusement le commerce
maritime.

Depuis, les pirates n’ont pas renoncé à leurs lucratifs coups de
force contre les navires qui se risquent dans la zone. La piraterie maritime
est devenue, pour la Somalie, une véritable marque déposée.

Pour les étrangers, la Somalie est un pays lointain et abandonné, ensanglanté par la guerre, condamné au chaos et au désespoir. Pourtant, au sud-est de la capitale Mogadiscio, la ville de Baraawe (Brava) est une oasis de plaisir, de calme, bordée de plages merveilleuses et pleine de cartons bourrés de dollars américains : bienvenue dans la ville des pirates. Ici, ils sont les héros, distribuant, tels des Robin des bois, les richesses dont ils s’emparent au large.

Leur réputation les fait passer pour d’“impitoyables terroristes” et “renégats” alors qu’à Baraawe les mères rêvent de leur donner leurs filles en mariage.

A l’une des entrées de la ville, on peut lire sur une énorme pancarte écrite en arabe : “Bienvenue à Baraawe, le lieu des branchés et des fêtards”. Il faut se pincer pour se souvenir qu’on est encore en Somalie. Ici, pas de nids-de-poule, de chaussées défoncées, de téléviseurs hors d’usage. Les villas de style italien le long de la plage sont magnifiquement peintes et ne portent aucune trace de balles. Baraawe est devenue la quatrième ville pirate de Somalie. En tout juste cinq ans, les rançons ont transformé le village de pêcheurs en un bourg en plein essor, où se vendent montres de luxe, motos, gadgets électroniques et même vaccins contre la grippe A (H1N1), comme s’en vante un trafiquant.

Des haut-parleurs installés sur les vérandas des villas diffusent à plein volume des morceaux du groupe américain Bon Jovi et un monde fou achète du thon sur le marché, près de la plage. Des antennes de téléphonie mobile et une borne Internet donnent à la ville une apparence d’ordre – un ordre assuré par les seigneurs de la guerre et les pirates lourdement armés. Agés d’une vingtaine d’années, ils sont tous d’anciens pêcheurs reconvertis dans la piraterie. Certains étaient policiers. Ces jeunes aux dents longues ne voient pas l’utilité d’acquérir ne serait-ce qu’une scolarité de base et ils ne veulent pas non plus suivre la plupart de leurs compatriotes en exil au Kenya ou à Dubaï. Quand ils racontent les séances de partage du butin, leurs yeux brillent.

La région a l’une des plus fortes concentrations de munitions légères, de roquettes et de mitrailleuses de toute la Somalie. Pourtant, la paix et la tranquillité règnent à Baraawe. “Au lieu d’être pointés sur la gorge de nos compatriotes comme à Mogadiscio, ici, les fusils servent à nous enrichir et garantir la sécurité de la ville”, se flatte Terrenco, un pirate qui s’est autoproclamé colonel et qui dit avoir douze ans d’expérience dans le métier.

Les mères de Baraawe poussent donc leurs filles à épouser ces flibustiers des temps modernes.

Non pas qu’il faille beaucoup insister pour les motiver : l’entrée dans l’église au bras d’un pirate leur garantit une table bien garnie ainsi que des robes luxueuses et met leur famille à l’abri de la faim et de la pauvreté. C’est ainsi que des pirates de 20 ans peuvent avoir cinq femmes : un chauffeur de bateau se vantait récemment d’avoir payé 3 000 dollars pour sa dernière épouse, la quatrième.

S’il vous arrivait, un samedi, de croiser un cortège nuptial dans les rues de Baraawe, vous pourriez penser qu’une personnalité occidentale est de passage dans la ville. Des Porsche Cayenne flambant neuves défilent, flanquées de véritables Harley Davidson de collection conduites par des pirates surexcités qui brandissent des armes dans une démonstration de machisme aussi triomphante que provocante.

Les rançons permettent d’offrir de fabuleux festins de viande de bœuf, accompagnée de riz thaïlandais et de pommes de terre, à toute la ville.

Les détonations de kalachnikovs fusent à l’intérieur des tentes : une salve de dix-sept coups est une tradition pour ces aventuriers des mers.

Quand arrive la séance des cadeaux aux mariés, le rôle des pirates dans l’économie de Baraawe devient encore plus manifeste. Avec un sourire radieux, ils jettent BlackBerry, chaînes à six CD, colliers en or… dans les corbeilles de mariage. Des hommes enivrés, en tenue de camouflage, dansent avec des liasses de billets sur la tête et, à leur tour, y déposent leur butin. De quoi faire pâlir d’envie le ministre des Finances de Sa Majesté. Les pseudo-sommets de paix organisés dans les capitales étrangères feraient bien de venir faire un tour à Baraawe. Les délégués pourraient enfin rédiger des rapports enthousiastes sur la belle vie que l’on mène dans cette oasis perdue au milieu des atrocités et de la mort.

Repères

La Somalie est devenue le repaire d’où partent la plupart des
attaques de pirates qui écument le golfe d’Aden. Les eaux territoriales
somaliennes sont devenues un véritable danger pour la marine internationale.

Plus de 20 000 bateaux croisent chaque année au large de la Corne de
l’Afrique, qui voit transiter 30 % du pétrole à destination de l’Europe.
Pour faire face à cette situation, l’Union européenne s’est résolue à lancer sa
première mission navale, baptisée Atalante ; celle-ci vient d’être
reconduite pour douze mois.

Objectif : sécuriser ces eaux troubles et
combattre un phénomène qui menaçait de limiter sérieusement le commerce
maritime. Depuis, les pirates n’ont pas renoncé à leurs lucratifs coups de
force contre les navires qui se risquent dans la zone.

La piraterie maritime est devenue, pour la Somalie, une véritable marque déposée.