10/01/2024 (Bréve 2245) AL-AHRAM INFO : Nermeen Tawfik : La politique d’Addis-Abeba risque de provoquer davantage d’instabilité dans la Corne de l’Afrique

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Mercredi, 10 janvier 2024

3 questions à Nermeen Tawfik, spécialiste de l’Afrique, sur les répercussions régionales de l’accord maritime signé entre l’Ethiopie et la région séparatiste du Somaliland.

++ Al-Ahram Hebdo : Le président somalien a signé samedi une loi annulant l’accord maritime entre l’Ethiopie et la région séparatiste du Somaliland. Quel en sera l’effet ?

— Nermeen Tawfik : Le protocole d’accord maritime signé le 1er janvier entre le Somaliland, région séparatiste de la Somalie, et l’Ethiopie est fondamentalement illégal, car le Somaliland n’est reconnu ni par la Somalie ni par la communauté internationale. Il n’a donc pas le droit de promulguer un accord permettant à l’Ethiopie l’accès à 20 kilomètres de ses côtes et l’installation d’une base militaire.

Dès le premier jour, l’Etat somalien s’est fermement opposé à ce pacte illégal et a promis de le combattre par tous les moyens légaux. La Somalie possède la légitimité pour prendre toutes les mesures nécessaires afin de sauvegarder sa souveraineté et son intégrité territoriale conformément au droit international.

En outre, d’autres pays de la Corne de l’Afrique comme l’Erythrée et Djibouti ne se sentent pas à l’aise envers cet accord. Ils étaient déjà sceptiques quant aux déclarations faites par le premier ministre éthiopien en octobre dernier concernant son droit à un accès à la mer et sur le fait que la paix dans la région dépendait d’un « partage mutuel équilibré » entre l’Ethiopie et ses voisins ayant accès à la mer Rouge.

++ Pourquoi l’Ethiopie tient-elle autant à cet accord pourtant illégal et peut-elle faire marche arrière ?

— Je ne pense pas, Abiy Ahmed cherche à tout prix à devenir un leader régional, et, par conséquent, il exploite toute opportunité qui peut lui permettre d’aboutir à ses desseins. Depuis son arrivée au pouvoir, il est en rivalité sur ce rôle de leadership régional avec l’Ouganda et le Kenya.

Dans ce contexte, pour lui, il est très important de contrôler 20 kilomètres sur le port de Berbera, une région maritime stratégique sur l’une des routes commerciales les plus fréquentées au monde menant notamment à la mer Rouge et au Canal de Suez. En outre, les velléités régionales du premier ministre éthiopien l’aident à renforcer sa popularité, alors qu’il souffre de problèmes à l’intérieur de son pays. Côté économique, l’accès à la mer Rouge serait un atout remarquable.

Jusque-là, l’Ethiopie est un pays dépendant principalement du port de Djibouti pour ses échanges commerciaux et depuis 30 ans elle cherche un accès à la mer qu’elle a progressivement perdu après l’indépendance de l’Erythrée en 1993. Donc, il est très difficile à Abiy Ahmed de céder ses gains, il ne le fera seul que s’il subit une très grande pression d’une des grandes puissances qui a de l’influence sur Addis-Abeba.

++ Peut-on s’attendre à davantage de tensions ?

— La politique du fait accompli du premier ministre éthiopien peut en effet mener à plus de tensions, au risque de provoquer encore plus d’instabilité dans la région de la Corne de l’Afrique, déjà en proie au terrorisme et à plusieurs conflits ethniques.

Un autre risque réside dans l’intervention du mouvement djihadiste Shebab dans cette affaire. Bien que ce dernier soit en conflit contre le gouvernement éthiopien, il s’oppose fermement à cet accord, car son idéologie repose sur le retour de la Grande Somalie, c’est-à-dire le retour des terres qui faisaient partie autrefois de la Somalie et qui appartiennent actuellement à l’Ethiopie, à Djibouti et certainement au Somaliland, qui a autoproclamé son indépendance de la Somalie en 1991.

Il est vrai que le mouvement est centralisé au centre et au sud, loin du Somaliland, mais il y a une aile du mouvement Daech au nord qui peut cibler le Somaliland et l’Ethiopie. Les Shebab ont mené d’importantes opérations dans le passé et sont capables de les répéter.