06/02/2024 (Brève 2375) RTBF : « Maman, pourquoi tu as laissé me faire ça ? »

Un témoignage indispensable à l’occasion de la journée contre les mutilations génitales

lien avec l’article : https://www.rtbf.be/article/maman-pourquoi-tu-as-laisse-me-faire-ca-un-temoignage-indispensable-a-l-occasion-de-la-journee-contre-les-mutilations-genitales-11323822

a peau lisse et dorée dément son âge. A 52 ans, Samia a décidé de lever le lourd secret qui entrave sa vie de femme. Elle parle, pour sa fille, et pour les autres.

Petite fille, à Djibouti, son pays d’origine, elle a été excisée et infibulée, avec ses deux sœurs. La commanditaire de ces mutilations génitales n’était autre que leur propre mère.

«  Je me souviens, elle nous a dit qu’il fallait retirer une partie de notre corps qui était sale, pour mieux grandir. Nous nous sommes levées tôt, on a reçu des vêtements neufs et des cadeaux. C’était un jour de fête ! Une vieille femme est entrée dans notre cour. C’était l’exciseuse. Elle a coupé le clitoris, cousu les lèvres, le sang a giclé. La douleur était tellement atroce que je suis restée muette, tétanisée… De toute façon, on m’avait interdit de pleurer, pour ne pas salir l’honneur de la famille, au cas où des voisins entendraient. »

(…) Il fallait retirer une partie de notre corps qui était sale, pour mieux grandir. On a reçu des vêtements neufs et des cadeaux. C’était un jour de fête !

Les trois fillettes ont ensuite les jambes ligotées, et pendant 21 jours elles resteront isolées dans une pièce, à ne manger que du liquide, pour éviter de pousser à selle. «  Faire pipi nous brûlait, du coup on se retenait » se souvient Samia. Sa mère n’a pas assisté à la «  cérémonie  ». «  Aucune mère ne supporte de voir souffrir son enfant  », soupire Samia.

Ce jour-là, leur père était absent, et son épouse en a profité pour faire exciser ses trois filles. Cet universitaire progressiste aurait refusé qu’on touche à ses filles. Trois, cinq et sept ans. Clap de fin de l’enfance.

«  A Djibouti, 95% des petites filles subissent des mutilations génitales. C’est une tradition perpétuée par les mères et les grands-mères. Une fille intacte n’est pas «  pure  ». Personne ne voudra l’épouser. Et si une jeune fille arrive non-excisée au mariage, sa belle-famille peut exiger une opération avant la cérémonie. La nuit de noces est une épreuve. Dans certaines communautés, on «  désinfibule  », c’est-à-dire qu’on réincise les lèvres pour que le jeune marié puisse pénétrer sa femme sans trop de douleur. Mais chez nous les Afars, l’homme se dit suffisamment viril pour forcer l’entrée de sa femme, et s’il le faut, ses amis maintiennent la jeune épousée pendant que son mari la pénètre. Pour moi c’est du viol « , s’indigne Samia.

++ Bouche cousue, lèvres cousues

La vie des jeunes filles mutilée est une suite d’épreuves auxquelles leurs mères ne les préparent pas. Leur sort est un tabou. Règles douloureuses, infections urinaires, fistules, sans parler des risques lors de l’accouchement. De nombreuses femmes meurent en couche, parfois le bébé reste coincé dans l’ouverture vaginale trop étroite. Certains manquent d’oxygène et en restent paralysés, d’autres meurent. Beaucoup.

Samia n’a pas pu accoucher par voie basse. Ses deux enfants sont nés par césarienne, en Belgique. Chaque année, quand elle allait visiter sa famille à Djibouti, elle tremblait pour sa fille, qu’elle surveillait comme le lait sur le feu. Finalement, elle a fini par convaincre sa mère de ne plus toucher aux filles. Elle lui a expliqué qu’en Belgique, les mutilations génitales étaient considérées comme de la torture, et poursuivies pénalement. «  Elle a eu peur que je me retrouve en prison à mon retour. Elle était triste pour ma fille, mais elle a tenu promesse. Ma fille et mes nièces sont intactes.  »

Elle a eu peur que je me retrouve en prison à mon retour. Elle était triste pour ma fille, mais elle a tenu promesse. Ma fille et mes nièces sont intactes

++ Reconstruction ?

«  Intacte  », le mot sonne comme un diamant dans la bouche de Samia.

Elle aurait pu se faire reconstruire. «  Le clitoris est grand comme un pénis à l’intérieur du corps de la femme. On peut donc en retirer une partie à l’extérieur, et bien sûr «  découdre  » les grandes lèvres.  »

En France, le chirurgien et urologue Pierre Foldes a inventé une méthode chirurgicale permettant de réparer les dommages causés par l’excision, autrement dit la «  clitoridectomie  ». Le clitoris est un organe essentiellement caché sous la peau. En l’étirant, on peut reconstituer l’anatomie et l’innervation, et permettre à la femme de retrouver du plaisir.

Samia n’a pas eu recours à la chirurgie réparatrice. Mais elle a apprivoisé son corps, et réussi à trouver du plaisir grâce à l’écoute de son partenaire.

«  De nombreuses femmes viennent me trouver, en me demandant de les aider à redevenir comme les autres femmes  » explique le docteur Martin Caillet, du département de gynécologie-obstétrique du CHU St Pierre à Bruxelles. «  Elles rêvent de retrouver l’envie de faire l’amour trois fois par jour, et de ressentir à chaque fois un orgasme  » sourit-il.  »Comme si les femmes normales étaient comme ça !« 

Si j’étais normale Docteur, je pourrais satisfaire mon mari, et il ne me battrait plus ? 

Avec l’équipe pluridisciplinaire du centre CéMaVie (Centre Médical d’Aide aux Victimes de l’Excision) fondé il y a 10 ans, l’enthousiaste médecin écoute patiemment ces femmes, et les aide à explorer leur désir et leur image d’elles-mêmes. Ces femmes ont vécu des choses terribles, des viols pendant leur parcours migratoire, des abus, des mariages forcés, du mépris ou de la violence de la part de leur partenaire ou des hommes en général. Elles ont une image terriblement dégradée d’elles-mêmes, se sentent handicapées à la suite de leurs mutilations génitales. «  Si j’étais normale Docteur, je pourrais satisfaire mon mari, et il ne me battrait plus ? « . Cette pensée magique touche le médecin, qui patiemment, avec l’équipe de psychologues et de sexologues aide ces femmes à retrouver l’estime d’elles-mêmes et de leur corps. Progressivement, elles comprennent que la reconstruction de leur clitoris est peut-être un miroir aux alouettes. La chirurgie ne va pas transformer leur mari en amant respectueux.

Tout doucement, elles abandonnent ce sentiment de culpabilité diffusé par l’homme, et qu’elles ont intégré sans s’en rendre compte. Grâce à ce dialogue, et cette reprise de confiance, de nombreuses femmes renoncent à la chirurgie. La reconstruction de leur féminité passe par leur tête et leur cœur.

++ « Ce qui se passe dans la culotte des filles est tabou  »

En Belgique, on estime que 20.000 femmes sont excisées. Et plus de 8.000 petites filles sont à risque, si aucun travail de sensibilisation n’est effectué.

23% des jeunes filles demandeuses d’asile risquent d’en être victimes. Le risque de mutilation génitale est un facteur important dans les motifs de demande de protection.

Depuis 2001, l’article 409 du Code pénal prévoit une peine de 5 à 7 ans d’emprisonnement pour un auteur ou coauteur d’une mutilation génitale. C’est pour cette raison que de nombreux parents «  profitent  » du retour au pays pendant les vacances pour opérer leur enfant. On parle de «  cutting season  ».

Mais à l’adolescence, très peu de jeunes filles osent porter plainte. Contre qui se retourner ? Contre leur propre mère ou grand-mère ?

L’ONE est sensibilisée au risque, et a le droit d’ausculter le bébé avant son départ et après son retour. «  Mais beaucoup d’enfants passent au travers des mailles du filet « , regrette Fabienne Richard, directrice du GAMS (Groupe pour l’abolition des mutilations génitales). «  Dans les consultations pour enfants, on ausculte les bébés sans enlever les langes. On passe tout en revue : les yeux, les oreilles, le nez, la bouche, les poumons. Et on oublie les parties génitales. »

«  Ce qui se passe dans la culotte des filles est tabou  », conclut le docteur Martin Caillet.