04/12/02 (B174 / 2) Revue de presse non exhaustive.
1 – RFI. Djibouti : Affaire Borrel – le tournant.
2 – Le Monde : de nouveaux éléments jettent le trouble sur la mort du juge Borrel

Me Olivier Morice
a été invité à parler ce mercredi matin sur RFI.
Pour l’écouter, cliquez ici :

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Extrait du site de RFI

Après sept ans
d’enquête, la justice française effectue un virage à
180 degrés sur le dossier Borrel. Ce juge français, retrouvé
mort en 1995 au pied d’une falaise de Djibouti, n’est pas un «suicidé»
pour le cinquième magistrat instructeur. Plusieurs témoins ont
déjà étayé la thèse de l’assassinat,
défendue par la veuve du magistrat. Dernier en date: Ali Iftin, l’ancien
patron de la garde présidentielle. Nous l’avons rencontré
à Bruxelles.

Six mois d’exil et
déjà sa terre natale lui manque. Sous sa veste en cuir, Ali
Abdillahi Iftin abrite l’amertume d’un homme écœuré
par les dérives d’un régime où règne l’arbitraire.
Ce commandant de gendarmerie était le responsable de la garde présidentielle
d’Ismaël Omar Guelleh. Pendant des années, il a servi avec
loyauté son président. Au printemps dernier, sentant que la
pression devenait trop forte, il a fui son pays par les montagnes, comme d’autres
avant lui. Direction: Addis-Abeba, puis Bruxelles, car Paris lui refuse le
visa de réfugié politique qu’il demande. La Seine, il l’a
finalement aperçu la semaine dernière, en se rendant dans le
cabinet d’instruction du juge Sophie Clément au Palais de justice
de Paris.

Par devoir, et «surtout
pour Madame Borrel et ses enfants», il a raconté sa part de vérité
sur cette affaire devenue une affaire d’Etat. Et de commencer par son
faux témoignage. Fin 1999, lorsque les autorités djiboutiennes
apprennent que l’ancien lieutenant de la garde présidentielle,
Mohamed Saleh Alhoumekani, va dire publiquement ce qu’il sait de l’affaire,
le patron des services de renseignements préparent une contre-offensive.
«L’objectif, explique Ali Iftin, est alors de décrédibiliser
le témoignage d’Alhoumekani. Hassan Saïd, le patron des services
de renseignements, me présente un texte que je dois recopier, puis
signer». Menaces à l’appui: «Si je ne le fais pas,
moi ou ma famille auront à en subir les conséquences».
Dans cette lettre, Alhoumekani est présenté comme un mauvais
sujet, instrument d’une vaste «machination» menée
par certains milieux français (l’avocat Arnaud Montebourg est
cité) et djiboutiens, dont le but est de déstabiliser le régime
en place. «J’ai hésité, dit Iftin, et puis j’ai
signé». En droit, cela s’appelle de la subornation de témoin.
Mais ce n’est pas tout: Ali Iftin révèle aussi que quelques
semaines avant la mort du magistrat, il saisit la fin d’une conversation
entre Hassan Saïd et Ismaël Omar Guelleh, l’actuel chef de
l’État et à l’époque chef de cabinet du président
Hassan Gouled Aptidon. Il est question d’un «juge français
qui se mêle d’affaires qui ne le regardent pas. Il ferait mieux
de s’occuper de ses problèmes», mais attention, précise
Iftin, «personne n’évoque alors une élimination physique».
Revenons maintenant aux faits.

19 octobre 1995: Bernard
Borrel, magistrat détaché au titre de la Coopération,
est retrouvé en position fœtale, entre deux pierres en bas d’une
falaise. Sans vie, le haut du corps brûlé à l’essence,
les jambes et les pieds intacts. Version officielle: suicide. Officielle,
puisqu’elle s’étale, comme l’ont révélé
nos confrères de Canal+, dans un télégramme diplomatique
envoyé à Paris par le chef de mission de la Coopération.
Ancien officier de gendarmerie, Jean-Jacques Moulines écrit: «Bernard
Borrel a mis fin à ses jours». L’enquête n’a
pas encore commencé. Dans les jours suivants, on présente cet
homme de 39 ans, père de deux enfants, comme quelqu’un de «déprimé».
Preuve de la thèse officielle: le briquet retrouvé entre les
rochers, puisqu’il a dû faire plusieurs mètres dans son
agonie. Élisabeth Borrel rentre en France et enterre son mari. Aucune
autopsie n’est réalisée.

Plus tard, les radiographies
des poumons, réalisées à l’hôpital militaire
français de Djibouti, disparaissent du dossier médical. En 1996,
une expertise privée, réalisée par le Professeur Lazarini,
légiste renommé, décortique l’impossibilité
de la mort par carbonisation, en raison de l’absence de suie dans les
bronches et de produits de combustion dans les poumons.

Conclusion: le corps ne
peut donc avoir été brûlé du «vivant du sujet».
Instruit à Toulouse, le dossier est «dépaysé»
à Paris, repris par les juges Marie-Paule Moracchini et Roger le Loire,
eux-mêmes dessaisis au profit du juge Jean-Baptiste Parlos.

Le juge fouineur est
mort

Face aux incohérences du dossier, le juge Parlos diligente une batterie
d’expertises. Il fait appel à trois scientifiques, légistes
et anthropologue, pour examiner à nouveau le corps de Bernard Borrel.
En juin dernier, il est exhumé pour la seconde fois au cimetière
de Frouzins, près de Toulouse. Après six mois de travail, les
expertises ont été communiquées au juge et à la
partie civile. L’avocat d’Elisabeth Borrel s’est décidé
à les rendre publique. «Toutes ces expertises concordent dans
le sens de l’intervention de tiers, explique Olivier Morice, que la piste
du suicide n’est pas possible, n’est pas plausible et que par conséquent,
il faut retenir, de plus en plus, la thèse de l’assassinat».

Concrètement, les
experts ont relevé une fracture du cubitus du bras, «fracture
de défense» dit le rapport, ainsi qu’une fracture de la
boîte crânienne. Et le rapport d’élaborer un scénario:
Bernard Borrel aurait été agressé, il se protège
avec le bras et reçoit un coup sur la tête. Puis, alors qu’il
est inconscient ou déjà mort, ses agresseurs lui brûlent
le haut du corps.

Ce dernier détail
avait déjà été mis en lumière par l’analyse
du Pr Lazarini. Si elle reste hypothétique, cette version permet de
remettre en perspective les propos d’Alhoumekani.

En effet, dans les heures
qui suivent la découverte du corps de Bernard Borrel par une patrouille
de la prévôté -la gendarmerie de l’armée française-
le lieutenant assiste médusé à un étrange conciliabule,
dans les jardins de la présidence. Il y a là Ismaël Omar
Guelleh, le chef de cabinet, Hassan Said, le chef des services et le patron
de la gendarmerie, le colonel Mahdi, ainsi que deux étrangers. Mais
aussi deux individus soupçonnés d’avoir exécuté
des attentats anti-français: Adouani, un Tunisien et Awalleh Guelleh,
un homme qui, normalement, devrait être derrière les barreaux
de la prison de Gabode.

Ce dernier dit: «ça
y est, le juge fouineur est mort».

Question d’IOG: «le
travail a été fait correctement ?»

Réponse de l’un
des deux étrangers: «pas de trace, mais il faut demander au colonel
de récupérer la main courante» (le registre tenu par des
militaires à un point de contrôle où est passé
Bernard Borrel). Le colonel Mahdi: «c’est fait». A Djibouti,
cette version a toujours été qualifiée de mensongère,
Alhoumekani n’étant qu’un affabulateur. Une défense
qui pourrait bientôt changer.

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Extrait Le Monde

De nouveaux éléments
jettent le trouble sur la mort du juge Borrel, à Djibouti, en 1995.
Son épouse vient de porter plainte pour « subornation de témoin »
après le revirement d’un officier djiboutien. Deux expertises médicales
contrediraient la thèse du suicide.

Sept ans que le corps de Bernard Borrel, magistrat français en coopération
à Djibouti, a été découvert, au pied d’une falaise,
en aplomb de la mer Rouge, aspergé d’essence et à moitié
brûlé. Sept ans, et déjà cinq juges d’instruction,
deux exhumations, une demi-douzaine d’expertises médicales. Sans se
décourager, Elisabeth Borrel, l' » Epouse du Juge assassiné »
le 18 octobre 1995, comme dit le carton d’invitation avec majuscules, devait
présenter devant la presse, mercredi 4 décembre, de nouveaux
éléments qui, pour ses avocats, Mes Olivier Morice et Laurent
de Caunes, confirment que son mari, conseiller technique du ministre de la
justice, ne s’est pas suicidé, comme l’avait d’abord conclu la justice.
Selon elle, il a été éliminé parce qu’il dérangeait
le pouvoir djiboutien en s’intéressant à un attentat commis
en 1990 au Café de Paris, à Djibouti.

L' »affaire Borrel »
connaît de fait quelques rebondissements. D’abord, un témoin
djiboutien, le capitaine Ali Iftin, chef de la garde présidentielle
du président de Djibouti en 1995, aujourd’hui réfugié
à Bruxelles, revient sur ses déclarations de novembre 1999.
Recueilli dans le magazine « 90 minutes » diffusé lundi sur
Canal+ (Le Monde daté 1er-2 décembre), son nouveau témoignage
a permis à Mme Borrel de porter plainte, le 19 novembre, avec constitution
de partie civile pour « subornation de témoin », et conduit
la juge d’instruction parisienne, Sophie Clément, à organiser,
le 29 novembre, une confrontation entre M. Iftin et un autre témoin
djiboutien, Mohamed Saleh Alhoumekani.

Cet ancien membre de la
garde présidentielle, lui aussi réfugié en Belgique,
était sorti de l’ombre il y a deux ans. Il disait avoir assisté,
le 19 octobre 1995, dans les jardins du palais présidentiel, à
une discussion entre cinq personnes, dont Ismaël Omar Guelleh, l’actuel
président djiboutien, alors directeur de cabinet du chef de l’Etat,
évoquant le meurtre du  » juge fouineur » (Le Monde du 14 janvier
2000). Les enquêteurs avaient recueilli de nombreux témoignages
prouvant qu’une telle discussion n’avait pu avoir lieu.

« FAUX TÉMOIGNAGE »

M. Iftin, lui, se souvient
désormais qu’un jour de septembre 1995, il  » entre en coup de
vent » dans le bureau de M. Guelleh, alors en conversation avec Hassan
Saïd, chef des services secrets djiboutiens. Il les entend,  » en
langue somalie »,  » dire qu’un juge européen les dérangeait »,
a-t-il expliqué le 29 novembre. Il assure que son  » faux témoignage »
– une attestation préétablie qui discréditait le témoignage
de M. Alhoumekani – lui avait « été dicté à
la demande d’Hassan Saïd pour défendre les autorités djiboutiennes ».
« Je peux me permettre de parler librement maintenant que je suis en Europe »,
explique M. Iftin pour justifier son revirement. Il a créé,
à Bruxelles, le Gouvernement en exil de Djibouti (GED).

Mme Borrel devait aussi
rendre public, mercredi, le résultat de deux expertises médicales
et deux expertises toxicologiques ordonnées par le juge Jean-Baptiste
Parlos – aujourd’hui à la Cour de cassation – après que la chambre
de l’instruction de la cour d’appel de Paris eut dessaisi, le 21 juin 2000,
les juges Marie-Paule Moracchini et Roger Le Loire, puis fait droit, en janvier
2001, aux demandes de contre-expertise de la partie civile. Rendue le 13 novembre
par Patrice Mangin, Daniel Malicier et Eric Baccino, directeurs des instituts
médico-légaux de Lausanne, Lyon et Montpellier, la première
expertise médicale conclut que « l’hypothèse d’une autoagression
à l’origine du décès est difficilement plausible »
et que, « dès lors, l’hypothèse de l’intervention d’un ou
de plusieurs tiers peut être envisagée ».

Le rapport anthropologique
de Gérald Quatrehomme, expert auprès de la cour d’appel d’Aix-en-Provence,
conclut aussi, le 18 novembre, que « l’hypothèse d’une chute »
est « peu vraisemblable en termes de probabilités ». Il relève
deux lésions survenues au moment du décès : un « coup
direct » sur le crâne, une fracture sur le cubitus qui serait une
« lésion de défense » et non la conséquence d’une
chute. Fin 1997, un spécialiste sollicité par Mme Borrel avait
écarté le suicide par immolation, car il n’avait décelé
aucune trace de suie dans les bronches du défunt.

Ariane
Chemin