21/02/2024 (Brève 2382) Le Point : Les tensions entre l’Éthiopie et la Somalie montent d’un cran

DIPLOMATIE. En marge du sommet de l’Union africaine, le président somalien a accusé les forces de l’ordre éthiopiennes d’avoir tenté d’entraver sa venue. Les Éthiopiens démentent.

Par Augustine Passilly, à Addis-Abeba (Éthiopie)

Publié le 21/02/2024 à 07h32

L’incident s’est déroulé samedi 17 février dans l’après-midi. La cérémonie d’ouverture du 37e sommet des chefs d’État de l’Union africaine (UA) venait de s’achever lorsqu’un conseiller du président somalien Hassan Cheikh Mohamoud a fait irruption dans la salle de presse pour annoncer une adresse aux médias imprévue. « La sécurité éthiopienne m’a empêché de sortir de mon hôtel ce matin », assure Hassan Cheikh Mohamoud, une trentaine de minutes plus tard. Le dirigeant somalien aurait alors appelé à la rescousse son homologue djiboutien, Ismaël Omar Guelleh.

« Lorsque nous avons atteint le quartier général de l’UA, le président de la République de Djibouti et moi-même avons de nouveau été bloqués », poursuit le représentant somalien. Les Éthiopiens livrent une version très différente, en accusant la délégation somalienne d’avoir enfreint le protocole sécuritaire. La scène intervient un mois et demi après la conclusion d’un accord de principe entre l’Éthiopie et le Somaliland. Il est question, pour la deuxième nation la plus peuplée du continent, d’ouvrir sa propre base navale et de bénéficier d’un accès aux services maritimes commerciaux au sein du port de Berbera, situé dans cette région autonome rattachée, officiellement, à Mogadiscio. L’Éthiopie prétend ainsi vouloir sortir de son enclavement, mais la méthode a été très mal perçue.

« L’Éthiopie veut annexer une partie de la Somalie », a répété Hassan Cheikh Mohamoud, lors de sa conférence en marge du sommet de l’UA. En janvier, le traité bilatéral a été largement dénoncé par la communauté internationale, qui ne reconnaît pas l’indépendance autoproclamée par le Somaliland en 1991. L’Union européenne avait, par exemple, insisté sur « l’importance du respect de l’unité, de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de la République fédérale de Somalie, conformément à sa Constitution, aux chartes de l’Union africaine et des Nations unies. C’est un élément essentiel pour la paix et la stabilité de toute la région de la Corne de l’Afrique ».

Au lendemain de la signature du document controversé, la Somalie, furieuse, avait rappelé son ambassadeur en Éthiopie. La colère ne semble pas être retombée depuis. Dans son allocution devant les chefs d’État ce samedi, peu après son accrochage avec les forces de l’ordre éthiopiennes, le président somalien a assimilé le pacte éthio-somalilandais à « l’ouverture d’une boîte de Pandore pour la stabilité de l’Afrique. Cela intervient à un moment où la Somalie […] est en train de vaincre le terrorisme [perpétré par les Chabab] qui constitue une menace pour la région et pour le continent dans son ensemble. Nous ne voulons pas recentrer notre attention sur des conflits inutiles avec notre voisin », a alerté Hassan Cheikh Mohamoud.

++ Les Somaliens en attente d’excuses officielles
Un diplomate africain qui a assisté au sommet de l’UA estime que l’épisode de l’hôtel « peut être une histoire montée de toutes pièces ». Samedi matin, avant de retrouver les chefs africains, le président somalien devait rencontrer le Premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, avec la médiation du Djiboutien Ismaël Omar Guelleh, précise cette source. Ironie du sort, l’objectif consistait précisément à désamorcer l’escalade entre Addis-Abeba et Mogadiscio. Or, selon sa propre version, invérifiable, Hassan Cheikh Mohamoud aurait attendu plus d’une heure le convoi sécuritaire alloué par les autorités éthiopiennes. Las, il aurait finalement téléphoné à Ismaël Omar Guelleh.

Puis c’est en arrivant au siège de l’UA que s’est produite une scène incongrue – cette fois sous le regard intrigué de plusieurs témoins. « Les gardes n’avaient pas été informés que les deux délégations viendraient ensemble et ont voulu les empêcher d’accéder à l’enceinte de l’UA, reprend la source diplomatique. Les deux présidents ont forcé le barrage et sont entrés. Leurs ministres des affaires étrangères, en revanche, ont été fouillés et ont dû se rendre à pied de la porte du complexe au bâtiment où avait lieu le sommet. » Abiy Ahmed s’est excusé d’un tel traitement auprès de son collègue djiboutien. « Les Somaliens attendent, eux, des excuses officielles à la suite de cette humiliation », précise le diplomate.