08/03/2012 (B646) Aïnaché nous invite à reprendre un article d’Afrique-Asie.

_______________________________ Note de l’ARDHD
Nous publions cet article à la demande personnelle et amicale d’Aïnaché, qui s’est assuré, au préalable, de l’autorisation du support.

Certains nous avaient déjà signalé cet article, avec des avis et des commentaires partagés et parfois acides. Mais il ne faut rien exagérer car d’autres internautes l’ont apprécié, dans la mesure où il apporte des confirmations sur de nombreux points : l’humiliation de Dileita, les freins des organisations internationales pour apporter de nouvelles contributions financières, la situation des détenus qui sont torturés à Gabode, etc…

Il ne nous appartient pas de donner un jugement de quelque nature que ce soit et nous remercions la direction d’Afrique-Asie pour son aimable autorisation.

_______________________________ Afrique-Asie

Source : www.afrique-asie.fr / Mars 2012

Naufrage en vue

Djibouti Il a été (mal) réélu pour un troisième mandat en 2011. Pour quoi faire ?

Le président Guelleh poursuit sa (non) politique catastrophiste pour l’économie, tout en favorisant ses proches. Mais, alors que moult ministres quittent le navire et que la répression s’intensifie, l’opposition s’organise.

Par Hamesso Boroda

Depuis l’élection présidentielle d’avril 2011, Ismael Omar Guelleh n’arrive pas à redresser la barre. Déjà, le scrutin avait été organisé au forceps face à l’hostilité d’une grande majorité de la population, y compris chez certains des partisans du président à un troisième mandat. Pour nombre de Djiboutiens, ce mandat est une voie royale pour la présidence à vie. Le régime avait pu juguler les manifestations toujours plus importantes des opposants avant les scrutins d’avril 2011 ; on assiste maintenant une descente vers le fond : le pouvoir a de plus en plus de difficulté à arrêter l’hémorragie au sein de son propre camp, c’est la débandade.

_ Exactions du pouvoir

Des partisans jusqu’ici très en cour prennent peu à peu la poudre d’escampette. Le régime survit entouré d’un petit cercle de fidèles, mais surtout grâce à la mainmise de l’épouse du président, Khadra Mahmoud, épaulée par ses frères et ses cousins. Une situation qui rappelle celle des dernières années de l’ancien président de la Somalie, Siad Barré, avec les dérives de son épouse Kadidja ou de celle du Tunisien Ben Ali et de son épouse.

Deux anciens ministres de l’Intérieur, Abdoulkader Doualé et Yacine Elmi Bouh, sont en dissidence active. Le premier s’est rapproché des imams contestataires qui, ces derniers temps, font des prêches enflammés contre la corruption et les exactions du pouvoir. Le second s’est adjoint les services des anciens fonctionnaires Khoumané

Mohamed (ex-trésorier général) et Amine Mohamed Roble (ex-secrétaire général de la présidence) et commence à prendre langue avec l’opposition encore méfiante à son égard. Plus significative est l’éviction de Mohamed Ali Sahel, ancien ministre des Finances et ancien secrétaire général du Rassemblement populaire pour le progrès (RPP, parti unique), un des rares politiques qui était au pouvoir, sur le point de rejoindre l’opposition. Comme si cette érosion n’était pas suffisante, le torchon brûle entre Guelleh et ses partenaires afars.

La tendance dissidente du Front pour la restauration de l’unité et la démocratie (Frud) qui l’avait rallié et soutenu dans son accession à la présidence a été cavalièrement mise à l’écart du gouvernement. Les ministres de l’Agriculture Ali Mohamed Daoud dit Jean-Marie, et de la Défense, Ougouré Kifleh Ahmad, respectivement président et secrétaire général du Frud, ont appris leur limogeage par la radio. Le premier ministre Dileyta Mohamed aurait présenté sa démission le 9 janvier 2012 au président Guelleh, qui l’aurait refusée.

Le premier ministre s’est senti en effet humilié lorsque la première dame l’a empêché d’entrer dans la résidence du président au Day, où a été inauguré un centre touristique. Le nouveau gouvernement formé après l’élection n’est pas mieux loti. Le ministre de l’Éducation, Adawa Hassan, issu de la société civile, prenait au sérieux sa fonction : il avait établi un programme scolaire et des créations d’écoles dans les zones rurales, en particulier dans le Nord, en rupture avec les pratiques existant depuis trente-quatre ans. Il a été remercié au bout de cinq mois, en août 2011.

Les institutions économiques internationales et certains États investisseurs semblent avoir pris acte d’une situation politique qui sent la fin de règne. Elles « lâchent » progressivement le président djiboutien, pourtant considéré jusqu’à l’élection de 2011 comme le seul homme fort du pays.

LES INSTITUTIONS ÉCONOMIQUES INTERNATIONALES ET CERTAINS ÉTATS INVESTISSEURS « LÂCHENT » PROGRESSIVEMENT LE PRÉSIDENT

La Banque africaine de développement (Bad), d’habitude très discrète, a sévèrement jugé la défaillance de la gouvernance et la fragilité de l’État à Djibouti. Son document stratégie pays concernant la période 2011-2015 pointe l’échec de la lutte contre la pauvreté, qui touche les trois quarts de la population, critique la concentration du pouvoir exécutif et l’absence de l’indépendance de la justice.

Le FMI lui a emboîté le pas dans un rapport du 10 au 24 octobre 2011 avec des formules à peine voilées. Il a gelé le programme de prêt pour 2012 en raison de dérapages constatés concernant le budget.

Le FMI stigmatise aussi le problème de détournement de fonds, par exemple en demandant des explications pour l’achat du Boeing présidentiel. La situation économique est tellement dégradée que les salaires des fonctionnaires de juillet et d’août 2011 ont été avancés par la Banque mondiale.

Selon le rapport du FMI, elle a poussé l’émirat de Dubaï à renoncer à poursuivre la plupart de ses grands projets d’investissements à Djibouti. Cette détérioration est due en partie à l’acharnement des autorités djiboutiennes contre l’homme d’affaires et opposant Abdourahman Boreh, qui a joué un rôle important dans les relations avec Dubaï. L’homme d’affaires s’est réfugié dans ce pays, qui a refusé de l’extrader.

La situation ne manque pas d’inquiéter les chancelleries occidentales, pour qui Djibouti reste une place stratégique importante, en particulier à cause de la piraterie sur les côtes somaliennes. C’est ainsi que les ambassadeurs de la France et des États-Unis à Djibouti ont rendu visite chacun de son côté, en août 2011, au président Guelleh. Ils lui auraient fait part de l’inquiétude de leur gouvernement respectif sur l’insécurité dans la capitale, le renforcement du Frud au Nord, l’impasse politique et les problèmes économiques qui sont autant d’ingrédients explosifs.

Dans ce champ de ruines, la nouvelle Coordination nationale pour la démocratie à Djibouti (CNDD), créée le 1er février 2012, apparaît à la fois comme un espoir et un pôle de stabilité de l’opposition.

Autour de lui peuvent se rassembler d’autres forces politiques, associatives et syndicales, susceptibles d’élaborer les conditions d’une alternance crédible. Les forces qui sont à l’origine de la CNDD ont chacune fait preuve de continuité et de constance politique, un phénomène assez rare pour être souligné. Le Frud, organisation politicomilitaire créée en août 1991, n’a jamais plié, en dépit des dissensions et des dissidences, et bien que ses partisans aient payé un lourd tribut pour la lutte de la démocratie. Ils demeurent, du reste, la cible principale de la répression. Le Mouvement pour le renouveau démocratique (MRD) est, lui, toujours resté dans l’opposition depuis sa création en

1992. Malgré sa dissolution décrétée sous un prétexte fantaisiste par le président de la République, en août 2008, il s’est renforcé. La CNDD est en outre dirigée par des hommes expérimentés ayant échappé au rouleau compresseur de la longue dictature. Celle-ci a pourtant épuisé et broyé beaucoup de dirigeants. Le président de la CNDD, Mohamed Kadamy, est aussi vice-président de l’Amicale panafricaine.

C’est un opposant historique, militant depuis plus de quarante ans, qui a connu la prison en raison de ses opinions. Le vice-président, Mohamed Moussa Aïnaché, est un des rares hauts fonctionnaires à avoir démissionné de la direction générale de la Radio Télévision Djibouti (RTD), pour protester contre les dérives autocratiques des nouvelles autorités dès 1977. Il ne s’est jamais compromis avec le pouvoir. Le porte parole de la Coordination, Daher Ahmed Farah, président du Mouvement pour le renouveau démocratique et le développement (MRD), est directeur du journal Renouveau (interdit) et premier romancier djiboutien.

Arrestations arbitraires et tortures

À leur création, début février, les membres de la CNDD ont signé un appel condamnant « la politique du pouvoir répressif » du président Ismaël Omar Guelleh et la modification de la Constitution en avril 2010 pour lui permettre de « s’arroger un troisième mandat présidentiel le 8 avril 2011 et s’ouvrir la voie à une présidence à vie ». Ils ont « décidé de renforcer l’unité de l’opposition, de coordonnerleurs efforts et d’intensifier les luttes pour le changement démocratique ».

L’objectif de la CNDD est « l’instauration d’un État de droit et de démocratie », « le respect des libertés fondamentales », et « la formation d’un gouvernement d’union nationale de transition » chargé de mettre en œuvre les résolutions de la charte de transition notamment les réformes politiques, de la citoyenneté et de la sécurité et « la refonte des listes électorales ». Comme seule réponse, le pouvoir a entamé une politique de fuite en avant. WikiLeaks a révélé que le ministre des Affaires étrangères Mahmoud Ali accusait le sultan de Rahaïta, persona non grata à Djibouti, d’aider le Frud.

Il aurait aussi envoyé 800 soldats, choisis parmi les éléments hostiles à son autorité, en soutien au gouvernement fédéral de transition en Somalie. Une manière de se débarrasser des éléments dangereux. Il réprime aussi plus souvent qu’à son tour les civils au nord, accusés de soutien au Frud, et des militants politiques et de défenseurs de droits humains.

Les arrestations arbitraires et les tortures ont été dénoncées par la Fédération internationale pour la défense des droits de l’homme, l’Organisation mondiale contre la torture, et l’Observatoire pour le respect des droits humains à Djibouti. Plusieurs prisonniers politiques croupissent en prison : Mohamed Abdillahi, Mohamed Jabha, Hassan Amine (défenseur des droits de l’homme), Indabuur… Sans oublier le défenseur des droits de l’homme Farah Abadid, plusieurs fois arrêté et torturé.