04/12/06 (B372) Le Monde : l’Ethiopie se donne un cadre légal pour son opération militaire en Somalie (Sous la plume de Jean-Philippe Remy)

LE
MONDE | 01.12.06 | 14h17 • Mis à jour le 01.12.06 | 14h17

NAIROBI
CORRESPONDANT

L’escalade
en Somalie entre les Tribunaux islamiques et le Gouvernement fédéral
de transition (TFG), installé à Baidoa et soutenu par l’Ethiopie
voisine, a franchi un nouveau cap, jeudi 30 novembre. Le Parlement éthiopien
a voté une motion autorisant "toutes mesures légales ou
constitutionnelles nécessaires pour contrer et surmonter toute forme
d’attaque et d’incursion en Ethiopie". Le texte avertit solennellement
qu’"un danger grandissant plane sur l’Ethiopie" et affirme qu’"en
collaboration avec l’Erythrée", les forces des Tribunaux islamiques
"entraînent, abritent et arment des groupes d’Ethiopiens qui veulent
renverser le gouvernement (éthiopien)".

Ce feu
vert légal donné par le Parlement pour faire la guerre en Somalie
survient alors que toutes les conditions d’un conflit à dimension régionale
ont été réunies depuis la prise de Mogadiscio, en juin,
par les forces du Conseil suprême islamique de Somalie (CSIS).

Entre-temps,
les milices des Tribunaux islamiques ont étendu leur emprise sur le
sud du pays. Chacun des deux camps a aussi constitué son propre réseau
d’alliances régionales, impliquant les deux frères ennemis de
la Corne de l’Afrique, l’Erythrée et l’Ethiopie. Les deux pays soutiennent,
respectivement, les Tribunaux islamiques et le Gouvernement fédéral.


SAISIE DU CONSEIL DE SÉCURITÉ

Selon
des experts indépendants, l’Ethiopie, qui a massé des troupes,
des blindés, des avions de chasse et des hélicoptères
d’attaque près de la frontière, disposerait également
sur le sol somalien une force de 6 000 à 8 000 hommes. L’Erythrée,
de son côté, disposerait de 2 000 hommes en Somalie.

Ce n’est
donc pas seulement une "guerre par procuration" entre Ethiopie et
Erythrée qui menace d’embraser la Somalie, comme s’en est inquiété
le département d’Etat américain, mais une confrontation directe
entre leurs armées, dont des éléments se trouvent déjà,
à certains endroits de Somalie, à une dangereuse proximité.
Dans la région de Baidoa, par exemple, leurs hommes s’approchent à
seulement vingt kilomètres de distance, selon un expert des Nations
unies.

Pour sauver
le TFG, dont les forces, modestes, parviennent tout juste à garder
le contrôle d’une partie de Baidoa, l’Ethiopie peut compter sur le soutien
des Etats-Unis. Ceux-ci avaient déjà tenté d’écraser
les forces des Tribunaux islamiques en appuyant, en pure perte, des chefs
de guerre à Mogadiscio au début de l’année. Depuis, l’idée
du déploiement d’une force régionale, l’Igasom, a été
réactivée avec un fort soutien américain. Washington
a échoué, mercredi, à faire adopter par le Conseil de
sécurité de l’ONU une résolution permettant une levée
partielle de l’embargo sur les armes à destination de la Somalie, dans
le but d’équiper cette force dont l’objectif serait d’empêcher
l’anéantissement du TFG.

En Somalie,
chaque camp se dispense d’autorisation pour obtenir des livraisons massives
d’armes depuis des mois. Lorsqu’un gros porteur Ilyouchine chargé d’armes
et de munitions, en provenance d’Erythrée et affrété
par la Libye, est arrivé récemment à l’aéroport
de Mogadiscio, les organisations humanitaires ont été informées
qu’une livraison de "machines à coudre" était en cours.

C’est
dans cette montée des tensions qu’un attentat à la voiture piégée
a frappé, jeudi 30 novembre, un barrage des forces du TFG à
l’entrée de la ville de Baidoa. Au moins huit personnes ont trouvé
la mort. Quelques jours plus tôt, un convoi éthiopien avait été
touché dans la région de Baidoa par l’explosion d’une mine actionnée
à distance, faisant vingt morts. Quelques semaines auparavant avait
eu lieu le premier attentat-suicide de l’histoire de la Somalie. Il avait
frappé, à Baidoa, le cortège du président Yusuf,
épargnant ce dernier par miracle.

Jean-Philippe
Rémy

Chronologie

5
juin 2006 :
les milices des Tribunaux islamiques s’emparent de la
majeure partie de Mogadiscio, dominée par des chefs de guerre soutenue
par les Etats-Unis. Elles prendront le contrôle total de Mogadiscio
le 10 juillet.

24
août :
les Tribunaux islamiques menacent l’Ethiopie d’une "guerre
totale" si elle ne retire pas ses troupes de Baidoa. Addis-Abeba nie
ce déploiement.

18
septembre :
onze morts dans un attentat-suicide à Baidoa,
visant à assassiner le président Abdulahi Yusuf Ahmed, selon
le gouvernement.

9
octobre :
les tribunaux islamiques déclarent la "guerre
sainte" contre le gouvernement et l’Ethiopie.

1er
novembre :
échec et report sine die des négociations
de paix.