25/01/2024 (Brève 2263) Le POINT : Corne de l’Afrique : 2024, l’année de tous les défis

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ANALYSE. Les six pays de l’Est africain doivent impérativement diversifier leur économie pour contrer les effets de la guerre au Soudan et des conflits en Éthiopie.

Par Augustine Passilly

Avec un million d’habitants et à peine plus de 23 000 km2, Djibouti s’apparente à un confetti à côté de ses voisins, les géants soudanais – le plus grand pays d’Afrique jusqu’à la sécession du Soudan du Sud en 2011 – et éthiopien – la deuxième nation la plus peuplée du continent. Cette dictature postée sur la mer Rouge n’avait pourtant, jusqu’à récemment, rien à envier aux cinq autres États de la Corne de l’Afrique : l’Érythrée, l’Éthiopie, la Somalie, le Soudan et le Soudan du Sud.

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Entre 2010 et 2019, la croissance moyenne de Djibouti dépasse de 3,1 % celle du reste des pays africains. La construction du port commercial de Doraleh, en 2013, a contribué à cette réussite. Tout comme la rente liée aux six bases militaires étrangères, respectivement française, américaine, italienne, japonaise, chinoise et saoudienne, implantées sur son littoral. Les taxes douanières et le secteur des services ont permis de compenser, tant bien que mal, un secteur agricole très marginal en comparaison avec le reste de la région. « Ce modèle de croissance est à bout de souffle », prévient néanmoins un rapport de la Banque africaine de développement paru en juin 2023.

La faute aux « chocs économiques extérieurs », précise ce document. Parmi eux, l’inflation liée à la pandémie de Covid-19 et au conflit ukrainien, mais aussi la guerre civile qui a ravagé le Tigré, région située au nord de l’Éthiopie, entre 2021 et 2023. « Ce pays enclavé paie plus d’un milliard de dollars par an pour exporter et importer ses marchandises via Djibouti. Or la guerre au Tigré a freiné ses activités », observe Kouassi Yeboua, économiste spécialiste de la Corne de l’Afrique à l’Institut d’études de sécurité. En 2024, les affrontements menacent de plomber encore davantage l’Est africain.

++ La guerre au Soudan ralentit la région

« La croissance économique moyenne de la Corne de l’Afrique tournera autour de 4 %, poursuit Kouassi Yeboua. Le Soudan la tire vers le bas car, à cause de la guerre, sa croissance ne devrait pas atteindre 1 %. » Le pays des deux Nil est embourbé dans un conflit très meurtrier entre les Forces armées soudanaises et les Forces de soutien rapide depuis le 15 avril. Plus de 7,6 millions de civils ont dû quitter leur foyer, dont 1,5 million ont franchi les frontières de l’Égypte, du Tchad ou encore du Soudan du Sud.

Cependant, les conséquences dépassent la charge humanitaire. « Le commerce avec les pays voisins a été affecté. Ce conflit a aussi accru le prix de la production de pétrole au Soudan du Sud, qui dépend des oléoducs soudanais pour exporter son pétrole », souligne Edward Sennoga, économiste à la Banque africaine de développement. La cessation des hostilités apparaît indispensable. « La paix et la stabilité constituent les deux conditions préalables au développement. En Éthiopie, par exemple, les constructions de bâtiments et d’infrastructures ont pu reprendre dans la capitale seulement à la fin de la guerre au Tigré », constate Kouassi Yeboua.

++ L’Éthiopie fragilisée par de multiples conflits

Motrice de la Corne grâce à des efforts pour diversifier son économie, l’Éthiopie continue toutefois de représenter une bombe à retardement. Les milices rebelles affrontent en effet les troupes gouvernementales dans les régions de l’Amhara et de l’Oromia. « L’inflation augmente sans cesse car le gouvernement investit dans les activités militaires au lieu de soutenir les domaines productifs », indique Tirngo Dinku, professeure au sein du département de comptabilité et de finance de l’université de Baher Dar. Le budget du ministère de la Défense a quasiment été multiplié par quatre entre les années fiscales 2021-2022 et 2022-2023. Mais le plus inquiétant, toujours selon Tirngo Dinku, concerne le manque de confiance généré par l’instabilité politique. Il empêche les jeunes diplômés et la diaspora d’investir. Il s’étend également aux entreprises et créanciers étrangers, notamment après le défaut partiel de paiement annoncé en décembre.

« Il est important de noter que ces euro-obligations concernent moins de 4 % de la dette extérieure de l’Éthiopie, tempère le représentant de la Banque africaine de développement, Edward Sennoga. En revanche, l’abaissement par l’agence de notation Fitch de la note de défaut de l’émetteur à long terme de l’Éthiopie en devises étrangères pourrait limiter l’accès du pays aux marchés internationaux des capitaux, même si le gouvernement ne devrait pas avoir recours à cette source de financement à court terme. » Les tensions diplomatiques apparues début janvier entre Addis-Abeba et Mogadiscio à la suite d’un accord de principe prévoyant l’installation d’une base navale éthiopienne au Somaliland ne vont rien arranger…

++ L’espoir d’une réduction des taux d’intérêt

La Corne de l’Afrique s’avère en outre très vulnérable au changement climatique. « À tout moment, un épisode de sécheresse peut affecter l’économie de ces pays où, pour la plupart d’entre eux, plus de la moitié des travailleurs œuvrent dans le secteur agricole », insiste Kouassi Yeboua. Illustration des dérèglements météorologiques, entre octobre et novembre, l’Éthiopie et la Somalie ont affronté des inondations inédites depuis quatre décennies.

Le déluge a succédé à trois années sans pluie qui avaient rendu la terre trop sèche pour absorber la moindre goutte. Au milieu de ce sombre tableau, les espoirs ne sont pas vains. « Étant donné que l’inflation mondiale est en train de se tasser, la Réserve fédérale américaine pourrait réduire ses taux d’intérêt. Cela permettrait aux États africains de souffler en entraînant des investissements étrangers et en ralentissant la dépréciation de leurs monnaies vis-à-vis du dollar », décrypte Kouassi Yeboua.

++ Un remède à base de diversification économique et de démocratie

De son côté, la plateforme portuaire qu’est Djibouti bénéficie d’ores et déjà de la relance post-conflit tigréen des exportations éthiopiennes. « Cette nation doit désormais diversifier la base de son économie pour éviter un nouveau choc. Il est indispensable, dans cette région instable, de réduire autant que possible la dépendance entre les États. Il faut également que ces pays émergents développent leur secteur manufacturier et surtout leur énorme potentiel en termes d’énergies renouvelables, qui pourrait devenir une autre source de croissance », préconise Kouassi Yeboua.

La lutte contre la corruption, la coopération régionale et, enfin, la recherche de systèmes de gouvernance plus démocratiques représentent d’autres pistes pour améliorer la santé économique de la Corne. Kouassi Yeboua conclut sur le cas djiboutien : « Il s’agit, certes, du pays le plus stable de la zone, mais cela est largement lié à la nature autoritaire de ce régime. Les richesses ne sont pas équitablement redistribuées et plus de 40 % de la population vit dans l’extrême pauvreté. Ce modèle n’est pas durable. »